18 janvier 2024. À Bouvron (Loire-Atlantique), Laval, Mayenne, Craon (Mayenne) ou Pontivy (Morbihan), la colère monte. De nombreux sites de transformation du groupe Lactalis sont bloqués par des manifestations à l’appel des FDSEA. Un mois plus tard, 200 agriculteurs de la Confédération paysanne prennent d’assaut le siège social du géant laitier à Laval. D’un côté comme de l’autre, la demande est claire : le prix du lait payé par l’industriel doit augmenter.

Force est de constater qu’en janvier 2024, Lactalis est à la traîne sur le prix de base du lait, avec 405 €/1 000 l annoncés à son association d’organisations de producteurs (AOP), l’Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis (Unell). Cette dernière, qui représente 62 % des fournisseurs du géant laitier, refuse l’offre. Les deux parties finiront par s’entendre le 1er mars sur un prix de base pour le premier trimestre de 2024 (voir l'encadré).

« Passages en force »

Ces frictions ont un air de déjà-vu. Depuis juillet 2023, le climat entre l’Unell et Lactalis est très tendu. À cette période, « les marchés internationaux avaient connu une forte érosion ayant impacté la partie internationale de la formule de prix », retrace Fabien Choiseau, directeur de l'approvisionnement laitier chez Lactalis France. Conséquence, le prix du lait proposé par l’industriel descend alors à 416 €/ 1 000 litres.

« Nous avons senti que les positions de Lactalis se sont durcies. Les relations ont toujours été tendues, mais on se parlait. Depuis l’été 2023, il n’y a plus de négociations, mais des passages en force du groupe », partage l’Unell. Et de préciser que depuis sa reconnaissance comme AOP en 2017, Lactalis « essaie systématiquement de sortir de la formule de prix en invoquant des calculs compliqués et en négociant au centime près ».

Une médiation entre les deux parties a été engagée le 29 janvier, et poursuit son cours en mars. L’objectif ? Négocier une formule de prix sur le long terme. L’Unell demande une revalorisation-augmentation du prix de revient. L’AOP souhaite aussi un élargissement de l’intégration de ce prix de revient dans le calcul du prix du lait.

« Il est aujourd’hui partiellement pris en compte dans le prix du lait valorisé en produits de grande consommation, à l’avantage d’un autre indicateur, le prix de vente sortie usine (indice PVI) », indique Olivier Carvin, agroéconomiste à la chambre d’agriculture de la Bretagne, dans un article publié dans le blog Agreco le 24 janvier. L’Unell souhaite enfin une revalorisation de l’indicateur beurre-poudre.

Chercher d’autres laiteries

La médiation doit s’achever à la fin de mars pour aboutir à un accord sur la formule de prix du lait. À l’avenir, l’Unell « n’exclut pas la possibilité de trouver d’autres débouchés [que Lactalis, NDLR] », confie Yohann Serreau.

L’AOP Sunlait, dont les OP adhérentes livrent historiquement au groupe laitier Savencia, a sauté ce pas. Le 26 février, elle annonce la signature d’un accord avec Maîtres Laitiers du Cotentin (MLC), portant sur 60 millions de litres de lait. Il s’agit d’approvisionner Yéo Frais, une filiale spécialisée dans l’ultra-frais basée à Toulouse. « Nous allons continuer à chercher de nouveaux partenariats », appuie Loïc Delage, président de Sunlait.

Pour l’heure, Savencia reste de très loin le plus important acheteur de Sunlait, à raison de 90 % des volumes produits par les adhérents de l’AOP. Avec l’industriel, les tensions sur le prix du lait durent depuis de longs mois, sur fond de désaccord sur la formule de prix. D’après nos confrères de L’Éleveur laitier, Savencia a « dicté sa loi » l’an passé, en fixant le prix du lait sans l’accord de Sunlait.

Renouer le dialogue

Malgré ce contexte difficile, Loïc Delage espère renouer le dialogue. Dans le cadre de la prolongation du contrat-cadre entre l’AOP et la laiterie (1), le président de Sunlait a envoyé une proposition de formule de prix. « Elle se base à 50 % sur les produits de grande consommation (PGC) vendus en France, pour lesquels nous demandons une valorisation de 517 €/1 000 l toutes primes et qualités confondues. Cela doit nous permettre de moderniser nos exploitations et d’employer de la main-d’œuvre ». Le reste de la formule se compose à 20 % du prix du lait allemand, à 20 % de la cotation des fromages industriels et à 10 % de la valorisation beurre-poudre.

Savencia doit rendre sa réponse le 19 mars au plus tard. « Nous aurons ensuite quinze jours pour répondre à notre tour et engager une discussion, soit dans le cadre d’une médiation, soit en rencontre bilatérale. Nous souhaitons la deuxième option. » Le président de Sunlait espère « rapidement » obtenir un prix de base du lait aux alentours de 450 €/1 000 l, contre les 423 € actuels.

Sunlait n’est pas un isolé. L’OP France Milk Board (FMB) Sud-Ouest et l’AOP FMB (2) poursuivent aussi leurs livraisons en l’absence d’accord sur une formule de prix avec Savencia. « À défaut, nous nous basons sur le prix moyen FranceAgriMer », rapporte Serge Lagahe, président de FMB Sud-Ouest. « Nous partons de la formule proposée par Savencia, puis nous négocions », explique Denis Jehannin, à la tête de l’AOP FMB.

L’industriel n’a pas souhaité donner suite aux sollicitations de La France Agricole. Du côté des éleveurs, un sentiment d’amertume se dégage. « Le nombre de producteurs de lait ne cesse de baisser en France, constate Denis Jehannin. Et malgré cela, les laiteries semblent toujours vouloir être sur le fil du rasoir avec leurs fournisseurs. »

(1) Lire La France Agricole n° 4049 du 1er mars 2024. (2) Regroupe FMB Grand-Ouest et FMB Normandie.