Alors que la sécheresse touchait l’ensemble de la France cet hiver 2022-2023, depuis mars, la météo est chamboulée et donne du fil à retordre aux agriculteurs. Entre le 1er mars et le 15 mai, le temps a été « anormalement humide sur un grand tiers nord, avec des cumuls qu’on ne dépasse qu’une année sur dix, voire plus », confirme Jean-Charles Deswarte, ingénieur en écophysiologie chez Arvalis.

Les stocks d’eau du sol permettent de garantir une floraison ou un début de remplissage sans stress hydrique majeur, même dans les terres superficielles du Berry, de la Bourgogne et de la Lorraine.

À l’inverse, une sécheresse historique frappe le sud-est de la France. Ce qui « pourra amener certaines parcelles de blé à ne pas être récoltées si cela reste sec, car elles ont du mal à épier », anticipe le spécialiste. D’autres secteurs rentrent progressivement en stress (Poitou-Charentes, Sud-Ouest, secteur lyonnais), à une date relativement tardive par rapport à l’habitude.

Côté températures, avec un mois de mars plus chaud que la moyenne et à l’inverse avril un peu en retrait, la rapide progression des stades des cultures s’est calmée.

Faible rayonnement

Malgré un rayonnement en berne pendant la phase de montaison sur une grande partie de l’Hexagone, Jean-Charles Deswarte estime qu’en céréales à paille, il y a « peu ou pas de risque que cela engendre un problème de stérilité du pollen ». La majorité des blés ne sont en effet pas encore en pleine épiaison, la situation est donc différente de celle observée en 2016. Il nuance toutefois : « Un rayonnement faible sur une longue période au printemps pénalise l’accumulation de biomasse et la formation des épis lors de la montaison. On a donc des épis un peu plus courts, avec moins de fleurs et au final un peu moins de grains (de –5 à –15 %) : il n’y a pas de catastrophe, juste un rendement légèrement décevant s’il n’est pas compensé par une forte densité d’épis ou un poids de mille grains élevé (PMG). »

Les fortes densités d’épis et les averses de pluie parfois violentes peuvent induire de la verse précoce, notamment sur les orges.

À ce stade, les céréales restent plutôt belles dans l’ensemble avec une très forte biomasse du fait des semis précoces et la douceur automnale et hivernale. Toutefois, les fortes densités d’épis et les averses de pluie parfois violentes peuvent induire de la verse précoce, notamment sur les orges. Un phénomène pouvant affecter le PMG final. Les régulateurs n’ont pas toujours été appliqués en bonnes conditions, entre les jours de gel et de pluies.

Valorisation de l'azote

Le climat pluvieux a par ailleurs été très favorable à la valorisation des apports d’azote comparativement aux dernières campagnes. Il n’y a pas d’excès d’eau pouvant générer de l’anoxie tel qu’en 2016 ou 2021, sauf cas particuliers (très gros abats d’eau, structure de sol très dégradée). En revanche, les parcelles sont très sales : l’efficacité des antigraminées à l’automne n’a pas été toujours suffisante et des traitements de sortie d’hiver ont parfois été difficiles à positionner à cause des pluies. L’automne doux a favorisé les repousses.

Le temps instable a aussi rendu compliqué les ensilages d’herbe et les semis de tournesol, maïs et soja.

Les maladies reviennent en force cette année à la faveur de l’humidité des couverts et des forts indices foliaires. Elles sont globalement sous contrôle, sauf dans certains secteurs dans le nord de la France où la pression septoriose est très élevée sur blé. « Cela fait longtemps qu’on n’avait pas vu ça, en tout cas pas depuis 2016 », annonce un responsable dans les Hauts-de-France. En Bourgogne, certains agriculteurs ont pris le train en retard et se sont laissés un peu dépasser par la rouille jaune et la septoriose. Il faudra aussi surveiller le risque de pluies autour de la floraison par rapport au risque de la fusariose. En Champagne, la rynchosporiose est problématique sur les orges semées à l’automne.

La bactériose explose sur les pois d’hiver tandis que la pression est également forte pour le sclérotinia sur les colzas. Ces derniers sont à la fin de la floraison, accélérée par les précipitations. Ils sont plutôt hétérogènes mais les rendements s’annoncent corrects, quoique certainement inférieurs à ceux de l’an dernier. Dans les parcelles où les insectes ont été mal maîtrisés à l’automne, les colzas ne sont pas épais.

Implantations retardées

Le temps instable a aussi rendu compliqué les ensilages d’herbe et les semis de tournesol, maïs et soja. Il y a souvent entre 15 et 30 jours de retard ce qui risque de décaler d’autant les dates de récolte. Dans certaines zones tardives (Bretagne, marais vendéens, Hauts-de-France, Normandie…), seuls 30 à 35 % des maïs sont implantés, avec des difficultés de travailler le sol. Plus au sud, c’est davantage avancé mais les Landes, les Pyrénées-Atlantiques et une partie du Gers rencontrent quelques soucis. Les maïs semés soufrent un peu, il faudrait un peu de chaleur pour que les parcelles levées puissent redémarrer. Quant aux tournesols, ceux qui finissent par être semés sont attaqués par les oiseaux, et certains doivent déjà être ressemés. Les traitements herbicides de postsemis-prélevée peuvent aussi poser problème avec des fenêtres d’intervention très courtes, entre deux averses. Les passages de bineuse sont aussi compliqués.

Désherbage des betteraves

Les betteraves sont quasi toutes semées mais les travaux ont été très échelonnés et l’accessibilité des parcelles complique les désherbages. Les parasites souterrains comme les blaniules et les tipules sont nombreux, ainsi que les limaces. Le plus problématique reste toutefois les pommes de terre, avec 70 % seulement plantés au niveau national selon l’UNPT (1). Dans le nord de la France, en bordure maritime, le chiffre tombe à 20 % tant les sols sont gorgés d’eau. Une première depuis 2001. Certains producteurs n’ont parfois même pas commencé. Les plants s’abîment et commencent à germer. Les prévisions annonçaient une fenêtre de plusieurs jours sans pluie cette fin de semaine qui permettrait d’avancer, enfin.

(1) Union nationale des producteurs de pommes de terre.