Voici un mot auquel personne n’échappe depuis deux mois : le budget. Chaque automne, le marathon pour faire voter les deux textes du budget de l’État avant la fin de l’année déchaîne les passions politiques et mobilise tous les secteurs associés de près ou de loin au monde politique. Le monde agricole n’y échappe pas.

Des aides dans la balance

Car derrière les tractations sur les budgets de l’État (appelé projet de loi de finances, PLF) et de la sécurité sociale (projet de loi de financement de la sécurité sociale, PLFSS) qui peuvent sembler abstraites, ce sont bien les aides apportées — ou non — au secteur agricole qui sont discutées au Parlement. Faut-il augmenter le crédit d’impôt pour l’agriculture biologique ? Doit-on élargir l’exonération fiscale aux employeurs de main-d’œuvre agricole ? Peut-on tester l’année N du prélèvement des cotisations sociales ?

Dans le PLFSS pour les retraites agricoles, ou dans le PLF, « il y a des lignes qui concernent l’agriculture », observe le député écologiste Benoît Biteau auprès de La France Agricole. L’élu porte plusieurs amendements d’exonérations pour les agriculteurs. « C’est important qu’on avance sur ces choses-là », explique-t-il en prenant exemple d’un amendement qu’il a voté sur la transmission « pour éviter que les repreneurs aient trop de charges. »

Plus de la moitié du budget national accordé au secteur agroalimentaire (production, transformation et distribution) prend la forme d’exonérations fiscales (impôts) et sociales (cotisations sociales), d’après un rapport de l’Institut de recherche associatif I4CE (Institut des économies du climat), paru en septembre 2024.

Le Parlement peut aussi adopter au contraire des nouvelles taxes ou supprimer des avantages fiscaux. Le gouvernement a proposé par exemple cette année de réduire les avantages fiscaux sur les biocarburants, avant que cette proposition soit retoquée par les députés.

Une bataille de chaque instant

La bataille pour chaque mesure est rude à tous les étages. D’abord, les députés initiés discutent une première fois des textes et des propositions d’amendements (de modification de texte, NDLR) en commission des affaires économiques (pour le PLF) et en commission des affaires sociales (pour le PLFSS). Cette année, c’est à ce moment que les élus ont adopté l’année N des cotisations sociales au début de novembre pendant l’examen du PLFSS.

Par rapport aux autres textes étudiés par le Parlement, ceux relatifs au budget font exception. Chaque amendement voté en commission doit être à nouveau déposé en séance publique. Une mesure peut ainsi être votée par la commission, avant d’être retoqué dans l’Hémicycle, puis ajouté de nouveau au Sénat.

Ainsi, la généralisation obligatoire du Nutri-Score a été adoptée en commission à l’Assemblée alors qu’il ne figurait pas dans la copie initiale présentée par le gouvernement. L’ensemble des députés a aussi voté en faveur de cette obligation… Avant que les sénateurs la suppriment le 21 novembre.

Mais, parfois, le travail paie. Le sénateur Laurent Duplomb se souvient être parvenu à négocier l’année dernière l’intégration des coopératives de fruits et légumes dans les bénéficiaires de l’exonération patronale TO-DE durant les discussions du budget de la sécurité sociale 2025.

Les acteurs du secteur mobilisés

Mais les pérégrinations pour peser sur ces deux textes — sans doute les plus importants de l’année pour l’État — démarrent bien avant l’automne. Dès l’été, les organisations agricoles et agroalimentaires s’arment pour faire avancer leurs batailles. À travers des propositions d’amendement prérédigés, des petits-déjeuners avec les députés, chacun avance ses pions.

La Confédération paysanne, Jeunes Agriculteurs et la FNSEA avaient déjà envoyé en octobre des listes de propositions d’amendements aux parlementaires partageant leurs points de vue. Les parlementaires qui reprennent les amendements, en partie ou totalement, ne sont en revanche pas obligés de l’indiquer dans leurs explications. Les écologistes, qui ont porté un amendement en faveur de la prolongation du crédit d’impôt pour l’agriculture biologique mentionnent qu’il a été « travaillé avec la Fnab » (1).

Au début de novembre, c’était le réseau Chambres d’agriculture qui rencontrait les sénateurs pour présenter « leurs priorités concrètes en faveur du développement agricole dans les territoires », d’après un post LinkedIn du réseau.

Les associations de la société civile ne sont pas les seules à prendre part aux débats. Industriels, transformateurs, grande distribution.. Ces entreprises ont tout autant intérêt à se mobiliser auprès des institutions : un tiers du financement public total (Union européenne, échelle nationale et locale) au secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire leur est reversé, d’après le rapport de I4CE.

Ces entreprises (industriels, phytos, engrais…) prennent aussi une grande place dans les couloirs des institutions pour pousser leurs intérêts, avec un lobbying « beaucoup plus masqué » dans leurs propositions d’amendements, ou d’influence du débat « bien en amont des sphères de décisions », analyse Eve Fouilleux, chercheuse en politiques agricoles.

« Savoir comment l’État leur accorde des aides, je pense que ça concerne les agriculteurs, estime-t-elle. Ce sont ces gens [entreprises] qui décident ou pas d’acheter leurs productions. » Pour la chercheuse, les discussions du budget répondent à la question : « quelles priorités on donne à quoi » avec en filigrane, le « cap donné à l’agriculture » pour les années suivantes.

(1) Fédération nationale de l’Agriculture biologique