Sur le thème de l’agriculture et du libre-échange, la commission d’enquête visant à établir les pertes de la souveraineté alimentaire en France a organisé une table-ronde le 27 mars 2024 à l’Assemblée nationale. « Il est illusoire de penser que l’on pourrait sortir l’ensemble de l’agriculture des négociations commerciales », estime Anne-Célia Disdier, professeure à l’École d’économie de Paris et directrice de recherche à l’Inrae, face à des élus qui proposent de pratiquer une « exception agriculturelle », afin que l’agriculture soit considérée comme un secteur spécifique protégé des règles du commerce international.
« L’exportation permet d’améliorer la valeur ajoutée perçue par les agriculteurs »
« Si nous souhaitons réduire nos importations, en taxant les produits étrangers, et en produisant nous-mêmes, il faudra s’attendre à une forte hausse des prix des produits alimentaires. Se posent dès lors les questions de l’acceptabilité de cette hausse de prix par les consommateurs, et leur capacité à y faire face », affirme Anne-Célia Disdier.
Le système alimentaire français est dépendant à la fois d’importations et d’exportations. « Beaucoup des filières françaises voient leur bonne santé économique dépendre de leur capacité à exporter, d’accéder à des marchés tiers », explique Muriel Lacoue-Labarthe, directrice générale adjointe de la direction générale du Trésor. Si l’excédent commercial agricole et agroalimentaire varie chaque année entre 6 et 10 milliards d’euros, il se réalise « essentiellement avec les pays tiers, alors qu’il est plutôt en déficit avec les pays européens. »
Autre fait notable, la signature d’un accord bilatéral donne lieu à une relation commerciale privilégiée, qui permet de mieux se positionner sur les marchés tiers vis-à-vis de la concurrence internationale, et de valoriser les produits sous indication géographique. « De façon générale, l’exportation permet d’améliorer la valeur ajoutée perçue par les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire », explique la directrice générale adjointe du Trésor.
Trouver un « équilibre général »
Lors des échanges, les participantes à la table_ronde soulignent également la nécessité du commerce extérieur pour l’approvisionnement en intrants des pays européens, dont la France. « Il y a des pays tiers avec lesquels nous avons intérêt à maintenir ces relations commerciales », assure Muriel Lacoue-Labarthe. L’approvisionnement en protéagineux dépend lui aussi fortement de productions non-européennes.
Il s’avère essentiel de trouver un « équilibre général », alors que ces pays exportateurs sont demandeurs d’exporter pas seulement des engrais, mais également d’autres biens, expliquent les intervenantes.
Les traités de libre-échange ne concernent pas uniquement les biens agricoles et alimentaires, mais aussi les produits manufacturés, ou encore les services, rappelle Anne-Célia Disdier. « Il est totalement illusoire de penser que l’on va gagner sur 100 % des secteurs ou sur 100 % des filières », ajoute la directrice de recherche à l’Inrae.
Dans l’optique de s’approvisionner, et également d’accroître ses exportations de produits manufacturés vers des marchés étrangers, tels que les pays émergents, « l’Union européenne doit accepter d’ouvrir son marché, ou du moins une partie, à ces pays qui exportent bien souvent des produits agricoles », estime-t-elle.
Des échanges sous le respect des normes sanitaires et environnementales
Pour protéger le marché d’une trop forte concurrence internationale, plusieurs instruments sont à la disposition des pouvoirs publics : droits de douane, quotas, ou encore les mesures non tarifaires, comme le respect de normes environnementales ou sanitaires.
« Nous n’avons pas le droit en tant qu’Union européenne d’imposer nos normes de production à un pays tiers, précise Muriel Lacoue-Labarthe. Ce que le droit de l’OMC autorise, c’est de mettre des restrictions de commerces quand il s’agit de protéger la santé publique ou l’environnement. »
Ainsi, au motif de ne pas accélérer un problème de santé publique ou d’environnement, des mesures miroirs peuvent être appliquées pour les importations, telle que l’interdiction des importations de produits animaux ayant utilisé des hormones de croissance.
Revenant sur les négociations d’un accord commercial avec le Mercosur, la directrice adjointe au Trésor explique que la France a justement manifesté son désaccord après l’accord technique trouvé en 2019. Pourquoi ? À cause du risque que la mise en place de l’accord conduise à accélérer la déforestation, et ne respecte pas les normes environnementales.