Devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de la souveraineté alimentaire française, Christine Avelin, directrice de FranceAgriMer, et Pierre Claquin, directeur des marchés, études et prospectives de FranceAgriMer, se sont exprimés le 26 mars 2024.

Pour Christine Avelin, directrice de FranceAgriMer, la France s'inscrit pleinement dans les échanges mondiaux des biens agricoles et alimentaires. (© Capture écran - Assemblée nationale)

Ils ont présenté un état des lieux de la souveraineté alimentaire de la France, alors que cette notion de souveraineté est elle-même soumise à des débats, précise Charles Sitzenstuhl, président de la commission et député (Renaissance).

« Capacité à assurer l’alimentation des Français »

Plutôt que de parler d’autosuffisance, il serait plus adapté de parler de « capacité à assurer l’alimentation des Français », dans le cadre d’un marché mondial des biens agricoles et alimentaires, et alors même que « la France s’inscrit pleinement dans ces échanges », estime Christine Avelin. « Le tout est de garantir que notre système de production soit suffisamment résilient et durable pour assurer dans la globalité l’alimentation » des habitants.

« La France serait-elle en mesure d’alimenter les Français si toutes les frontières étaient fermées ? Le sujet de la souveraineté alimentaire est arrivé dans l’actualité gouvernementale et des filières plutôt après la crise du Covid », lorsque la France s’est aperçue d’un certain nombre de dépendances alimentaires dans son approvisionnement, explique Christine Avelin.

Balance commerciale positive, mais dépendante des échanges

« Est-ce que cette souveraineté s’améliore ou se détériore ? », s’interroge-t-elle. La balance commerciale alimentaire et agroalimentaire française est positive, « essentiellement du fait de trois grands secteurs », précise la directrice de FranceAgriMer. À commencer par les vins et spiritueux, « sur lesquels on est excédentaire de façon assez continue ».

Puis viennent les céréales brutes, avec des variations fortes d’une année sur l’autre, « parfois en volume, rarement sur les dernières années, et des variations qui peuvent être très fortes en valeur », soulignant que la tonne de blé se situe en dessous des 200 € la tonne en ce moment même. Les produits laitiers complètent ce podium des grands secteurs excédentaires. « Sur ces trois ensembles, la balance commerciale se dégrade là où elle n’est déjà pas très bonne, et là où elle est plutôt bonne, elle a tendance à progresser. »

Pour un vrai diagnostic, il serait important d’étudier secteur de production par secteur de production, précisent les auditionnés. Par exemple, si la France produit suffisamment de porcs pour couvrir la consommation de ses habitants, elle en importe et en exporte également. « Il faudrait que chaque porc ait trois pattes » arrière, détaille Christine Avelin, puisque sont consommés plus de jambons que ce qui est produit, tandis que les abats peu consommés par les Français sont largement exportés vers la Chine. Le problème est similaire en filière laitière, où les Français consomment davantage de matières grasses que ce qui est produit, exportant à l’inverse fromages et produits laitiers.

« Notre système est dépendant d’un certain nombre d’importations, mais aussi d’un certain nombre d’exportations, sans cela le système économique des filières ne serait pas viable », affirme la directrice de FranceAgriMer.

Forte dépendance aux importations d’engrais

Autre vrai sujet, le système français est « très, très dépendant des importations d’engrais », et donc extrêmement dépendant de pays tiers, puisque la majorité des engrais importés proviennent de bassins exportateurs comme le Maroc, la Russie, ou encore la Biélorussie. Un problème qui n’est pas nouveau, mais qui souligne « des taux de dépendance majeurs aux importations », selon Christine Avelin.

Pour Pierre Claquin, directeur des marchés, études et prospectives de FranceAgriMer, se pose aussi la question de « vers qui se tourner dans les dépendances à l’exportation et à l’importation ». Il exprime un point de vigilance à ne pas dépendre d’un seul débouché importateur ou un seul exportateur, afin « d’éviter de se retrouver dans des situations très concentrées ».

Prendre en compte l’évolution des régimes alimentaires

Enfin, « on ne peut pas poser cette question de la souveraineté sans poser la question du régime alimentaire », ajoute la directrice de FranceAgriMer.

« Les consommations évoluent parfois dans un sens qui n’est pas toujours celui de notre production », complète Pierre Claquin. La demande importante en fruits tropicaux en est un bon exemple, elle contribue largement à la dégradation de la balance commerciale pour les fruits. De même que la consommation de pain, qui diminue sur le territoire français, alors que la consommation de riz tend à progresser, sans que la France soit en capacité de produire le riz consommé par ses habitants.

Dans le paradoxe du citoyen et du consommateur, il est peu probable que le consommateur ait une réflexion sur la souveraineté alimentaire de la France, souligne Christine Avelin, ou du moins, « cela ne se traduit pas dans ses consommations ».