1 – Sens du métier
L’IA va-t-elle alléger la charge de travail des agriculteurs ? Et pourquoi pas les remplacer ? D’ici 2030, le Forum économique mondial estime que 92 millions d’emplois seront transformés ou remplacés par l’automatisation et l’IA, tandis que 170 millions de nouveaux emplois seront créés sur la même période. Jusqu’ici, les professions intellectuelles ou administratives restaient largement préservées, la robotisation visant surtout les activités manuelles. Pour la première fois, l’IA s’attaque aux cols blancs, car elle est capable d’exécuter des tâches cognitives, d’analyser des données, de rédiger et de synthétiser des informations. Pour les agriculteurs, l’IA redistribue les cartes… et ça pourrait leur plaire ! Selon Fabrice Tranchand, « le cœur de leur métier est protégé. L’IA peut les aider tout de suite dans la prise de décision, mais elle ne devrait pas les remplacer à l’horizon des cinq à dix prochaines années. »
« Le bénéfice le plus immédiat de l’IA en agriculture, c’est la fin de la paperasse », prédit le consultant. L’IA est un moteur de traitement de données qui peut connecter toutes les sources. Fini les copiés-collés et les multiples ressaisies inutiles ! L’outil permettra de préremplir les formulaires et les déclarations Pac, MSA ou fiscales, d’assurer la traçabilité, d’automatiser le tri des factures et la gestion des salariés. Elle apportera des conseils juridiques, patrimoniaux, financiers… Au final, ce sont les opérateurs administratifs gravitant autour des agriculteurs qui vont être totalement bousculés par l’IA. L’IA permettra aux agriculteurs de libérer du temps au bureau pour en passer davantage dans les champs ou auprès des animaux… ou pour profiter d’un peu de loisirs bien mérités !
2 – Dépendance technologique
L’IA va-t-elle remplacer l’agriculteur dans ses prises de décision ? En France, 68 % des actifs utilisent déjà l’IA dans leur vie personnelle ou professionnelle. 77 % s’inquiètent de devenir trop dépendants des outils d’IA et 71 % redoutent une réduction des échanges humains (1). C’est tout le paradoxe de l’IA qui suscite à la fois de l’engouement et des craintes. « D’un côté, l’IA renforce l’autonomie du travailleur. Avec une IA professionnelle et bien entraînée, un agriculteur pourra accéder à une réponse rapide, et parfois plus fiable qu’un conseiller », souligne Fabrice Tranchand. Elle est une assistance infatigable, sans ego et sans jugement. « Dans bien des domaines, il faut reconnaître que l’IA est meilleure que l’humain. Il faut en avoir conscience et mettre son amour-propre de côté, pour profiter au maximum de cet outil. » Pour ne pas tomber dans une nouvelle dépendance, souvent d’une grosse boite de la tech, mieux vaut se préparer au jour où le service tombe en panne ou qu’il double ses prix. En bref, bien réfléchir à la manière d’intégrer l’IA à sa stratégie d’entreprise.
(1) Baromètre de la formation et de l’emploi, avril 2025, Centre Inffo.
3 – Intelligence et créativité
Comment un agriculteur peut-il identifier qu’un modèle produit une recommandation erronée ou « hallucinée » ? Une hallucination en IA est une réponse fausse ou inventée, présentée avec assurance par un modèle. Fabrice Tranchand réfute toutefois l’idée selon laquelle « l’IA est entraînée à mentir ». À l’origine du phénomène : un mécanisme qui introduit de l’aléatoire aux réponses pour éviter des contenus uniformes et stimuler la créativité de l’IA. L’hallucination est souvent due à une mauvaise utilisation, comme l’usage d’une version gratuite ou le manque de contextualisation lors de la requête, appelée aussi "prompt". Autre danger : l’amplification des stéréotypes. En effet, l’IA est le reflet statistique d’informations récupérées le plus souvent sur internet. « Si les images des agriculteurs français montrent à 80 % des hommes d’un certain âge, l’IA va conclure que c’est la norme. Elle va renforcer ce cliché, en ignorant les agricultrices et les jeunes. » Pour s’en protéger, il faut bien détailler sa demande, définir le rôle de l’IA (« Tu es un expert en… »), exiger les sources et surtout garder un esprit critique.
4 – Environnement
Utiliser l’IA consomme d’énormes quantités d’eau et d’énergie. Est-ce compatible avec la transition agroécologique ? Chaque requête sur ChatGPT, le robot conversationnel d’OpenAI, consomme en moyenne 2,9 Wh d’électricité. C’est dix fois plus qu’une recherche sur Google ! Et selon le think-tank The Shift Project, la consommation électrique des centres de données en Europe pourrait quadrupler entre 2023 et 2035. Plusieurs raisons expliquent cette voracité énergivore : l’entraînement initial des IA génératives, la multiplication des requêtes individuelles depuis le lancement de ChatGPT, le 30 novembre 2022, ou encore les besoins en refroidissement des data centers. Mais pour Fabrice Tranchand, il ne faut pas mélanger usages personnels et professionnels : « Sur une ferme, le bilan carbone du recours à une IA peut être moins coûteux que des processus manuels humains (déplacements, temps passé, etc.). »
5 – Données agricoles et cybersécurité
Qui contrôle les données produites sur une ferme ? Quels sont les risques en matière de cybersécurité ? La confidentialité des données est le principal obstacle à l’adoption de l’IA pour 41 % des agriculteurs (1). « C’est une peur légitime, mais qu’il faut nuancer car toutes les IA ne se valent pas », explique Fabrice Tranchand. Par exemple, il est préférable de choisir des IA génératives compatibles avec le RGPD (2) comme Mistral (français), plutôt qu’opter pour DeepSeek (chinois) ou Grok (Elon Musk). Pour le consultant, les données d’un agriculteur ne sont pas stratégiques au point d’en faire une cible pour ses concurrents. Le risque se situe davantage pour ses partenaires (coopératives, centre de gestion par exemple). En revanche, les agriculteurs doivent redoubler de vigilance face à l’augmentation des arnaques et des cyberattaques sophistiquées rendues possibles par l’IA.
(1) Enquête ADquation (572 exploitations, printemps 2025).
(2) Règlement général sur la protection des données
6 – Formation
Comment tirer pleinement parti de l’IA ? Se former à l’IA, c’est acquérir des compétences techniques en vue d’adopter les applications adaptées à son entreprise. C’est aussi découvrir les usages possibles en audio et vidéo pour innover dans ses pratiques. Et cet enjeu n’est pas réservé qu’aux grosses exploitations. « Aujourd’hui, quelle que soit la taille des fermes, toutes ont accès à internet pour piloter leur activité au quotidien. Ce sera pareil avec l’IA, avec des outils basiques ou davantage sophistiqués, en fonction des enjeux », souligne Fabrice Tranchand.
En entreprise, le consultant recommande de ne pas recourir aux versions standards et gratuites des IA génératives pour se tourner vers des versions professionnelles et personnalisées. « De cette façon, on peut discuter avec l’IA comme avec un assistant. » Pour utiliser cette technologie de manière optimale, il convient de ne pas formuler des questions vagues, du type « Aide moi à économiser de l’eau ». Mais plutôt, de donner un scénario très précis : « Agis comme un expert en agronomie. Voici mes données chiffrées… Mon objectif est une baisse de 15 % de consommation d’eau. Propose-moi trois solutions, adaptées à un céréalier de la Beauce. » À partir de cette requête, un vrai dialogue stratégique peut commencer. Avec au final, une décision qui revient à l’agriculteur.