« Le métier de sélectionneur a énormément évolué depuis une trentaine d’années, au niveau de l’utilisation d’informations (phénotypage, séquençage, analyses de plantes, de maladies, d’environnements….) ou de la gestion des données et de leur analyse », a introduit Philippe Dufour, coordinateur scientifique chez RAGT, lors du colloque de l’AFBV (1) le 14 octobre. La sélection génomique, dont les bases ont été posées en 2001, « était déjà un premier pas » dans la prédiction de la valeur génétique d’un individu, estime Jean-Marc Ferullo, directeur de recherche chez Lidea et administrateur à l’UFS (2). L’intelligence artificielle (IA) ouvre désormais de nouvelles perspectives.
« Avant la révolution de ChatGPT, on était loin d’imaginer qu’on pourrait utiliser des outils d’IA génératifs pour comprendre et prédire l’impact de la génétique sur un comportement », explique-t-il. L’IA « est une réalité », affirme-t-il, et a déjà commencé à affecter le métier du sélectionneur.
Phénotypage à haut débit, images par satellites ou drones, séquençage de l’ADN… Des millions d’images et de données d’une parcelle peuvent être générées par différents capteurs. « Ce qui manquait, c’était une façon d’exploiter ces énormes quantités de données. Demain, cela sera fait en routine, mais nécessitera l’accès à des équipements, des serveurs, des capacités de calcul… », observe Jean-Marc Ferullo. Si la donnée est centrale, sa qualité l’est encore plus, appuie Philippe Dufour.
Accompagner le changement climatique
Classiquement, les rythmes de sélection variétale s’étendent, selon les espèces, de six à douze ans. « Jusqu’à présent, on s’en accommodait, mais avec le changement climatique qui s’accélère, il devient crucial d’adapter ces rythmes », estime Jean-Marc Ferullo. Le progrès génétique sera plus rapide. « Nous irons plus vite dans la mise à disposition de variétés qui répondent aux enjeux rencontrés par les agriculteurs sur leurs exploitations », poursuit l’expert. En revanche, « créer une variété, gagner un point de rendement supplémentaire ne sera pas forcément moins coûteux », anticipe-t-il.
L’IA pourrait aller plus loin encore. « L’étape d’après sera de simuler des jumeaux numériques, c’est-à-dire une plante virtuelle à partir de laquelle on pourra déterminer si on remplace un gène A par un gène B, l’impact sur le rendement, la croissance, la précocité…, sans même avoir à la fabriquer. Comme un prototype que le sélectionneur essaiera de créer le plus rapidement possible, sans avoir à expérimenter tout un tas de prototypes intermédiaires. »
Pour l’expert, à terme, l’IA sera capable de déterminer une séquence ADN idéale pour répondre à une problématique agronomique. « Ensuite, il faudra passer au réel et créer la plante », ajoute-t-il. Les outils tels que les nouvelles techniques génomiques (NGT) ou les ciseaux moléculaires compléteront le travail du sélectionneur, sous réserve de lever des freins réglementaires. Pour la filière semencière, l’IA est « un impératif de survie », juge Jean-Marc Ferullo, « en particulier pour la France, qui en est le premier exportateur ».
(1) Association française des biotechnologies végétales.
(2) Union française des semenciers.