Chez les Navarre (voirLa France agricoleno 3923 du 1er octobre 2021), comme chez les autres grands fermiers, l’installation agricole s’opérait, lors du contrat de mariage, dans le cadre locatif : l’une des parties – en principe celle du garçon – apportait le droit au bail avec l’équipement nécessaire, en bétail comme en matériel ; l’autre complétait le capital de départ en y ajoutant l’indispensable trésorerie et le mobilier domestique.

Tout le nécessaire

En 1612, « honorable homme » Martin Navarre, laboureur à Villeroy-en-France (Seine-et-Marne), accorde sa fille Jeanne à Antoine Boucher, avec 3 000 livres en « deniers, habits et trousseau ». C’est le beau-père qui délivre alors, pour la Saint-Jean-Baptiste suivante (24 juin), « ferme, terre et héritages » sur Marly-la-Ville, où le nouveau couple va s’établir avec tout le nécessaire en capital, « chevaux, bestiaux, charrues […], labours et semences », qui constituent l’essentiel des 4 000 livres de dot. Caution auprès du propriétaire principal, un président au Parlement, le beau-père s’engage à obtenir un nouveau bail de neuf ans en faveur des jeunes mariés. À une échelle plus modeste, il en va de même en 1615 pour Barbe et Charlotte Navarre, qui s’installent toutes les deux à Charmentray, au sud de Villeroy, en épousant les deux frères Berger, dont les dots de 2 400 livres correspondent l’une comme l’autre à une cession de culture.

 

À l’inverse, lorsqu’Antoine Navarre signe à Paris son contrat de mariage avec Marie Lallemant, en 1662, c’est le père qui accorde 7 000 livres « en attirail, ustensiles, chevaux, bestiaux et autres choses nécessaires pour “monter” ledit futur époux en la ferme de la Trace », qu’il tient à loyer du grand prieur de France. « Honorable homme » Jean Navarre, le père, transporte le bail, les labours, semences et amendements au fils tandis que la promise reçoit, la veille des épousailles, 6 000 livres en deniers comptants et meubles. Pour assurer l’installation, il avait été jusqu’à louer – avec la complicité sans doute du beau-père, domicilié tout à côté – une autre grande ferme seigneuriale, celle de Bouqueval, à 24 km à l’ouest, au-delà de Roissy-en-France. Les deux époux optè­rent pour la Trace, si bien placée à l’ombre de Villeroy !

Le procédé de complémentarité des dots est fort classique lors de l’établissement des enfants. Cependant, certains Navarre l’opéraient à une échelle inusitée : l’absence de remboursement d’une partie du capital au parent cessionnaire – bien utile pour doter les autres enfants – et la faculté d’option entre plusieurs fermes offraient des avantages appréciables, que seules certaines lignées privilégiées pouvaient se permettre, avec la transmission de biens de famille d’échelle comparable, comme à Villeroy. Pour d’autres branches, moins en vue, l’entrée dans l’exploitation s’opérait à un niveau plus modeste, imposait un remboursement partiel auprès des parents et excluait toute installation patrimoniale.

Jean-Marc Moriceau, Pôle rural, MRSH-Caen