En plein mois de juillet, installé sur son escabeau de cueillette, Grégory Rousset récolte à la main ses cerises avec l’aide de ses trois associés et d’un apprenti. L’exploitation familiale compte 2,5 ha de vergers nichés à Chabanière dans la vallée du Rhône. En contrebas, 5 000 m² de tunnels accueillent des framboisiers de la variété Lagoraï, conduits en hors-sol. « Il y a vingt ans, mes parents et la majorité des producteurs de la région produisaient en plein champ, retrace Grégory. Mais le phytophthora est passé par là… Le hors-sol a été un passage obligé pour éradiquer la maladie. »
Ses framboisiers sont aussi cultivés en cycle court. L’arboriculteur achète ses plants sous la forme de « longues cannes » (des tiges de 1,80 m à l’état de dormance) auprès de la Sicoly, sa coopérative (1). « Les premières récoltes arrivent en seulement huit à dix semaines, ce qui me permet de les échelonner sur la saison, de juin à octobre, sans trop de main-d’œuvre. »
Très peu de phytos
Ce mode de conduite présente d’autres avantages : moins de travaux en hiver, meilleurs rendements, récoltes plus homogènes en calibre et qualité… De quoi rivaliser avec l’importation, qui représente 80 % du marché français. « Je mise sur l’origine France et la qualité, gages de crédibilité pour mes clients et les consommateurs », précise Grégory.
Drosophiles, pucerons, acariens… Les dégâts de ravageurs sont limités grâce à la présence des filets, à la bonne aération des tunnels et à la croissance rapide des plantes. « Nous n’appliquons quasiment pas de produits phytosanitaires, et heureusement car il n’existe plus beaucoup de solutions chimiques », rapporte Grégory. Néanmoins, la cicadelle lui pose de plus en plus soucis : après s’être attaqué aux pêchers, l’insecte migre vers les tunnels et pique les boutons floraux, pouvant provoquer jusqu’à 30 % de pertes. Les filets sont une solution mais en période de forte chaleur, il n’est pas possible de les laisser constamment en place. « La variété Lagoraï est sensible à la cicadelle, ajoute Grégory. J’ai pour projet de me diversifier, tout en conservant une dominante Lagoraï : c’est la variété la plus demandée sur le marché. »
Primes HVE et Global Gap
Ce système peut représenter un investissement de départ important. « L’aspect financier a pu être un frein à son adoption à l’échelle de la coopérative, confirme Céline Charles, responsable technique à la Sicoly. Finalement, beaucoup s’y sont mis en constatant ses avantages. En 2025, nous avons distribué environ 80 000 longues cannes et 20 000 petits plants : il y a six ans, c’était presque l’inverse. »
La coopérative a fait le choix de soutenir l’achat des longues cannes. Chaque année, les producteurs sont aidés à hauteur de 30 %, via des fonds européens redistribués par FranceAgriMer. Elle attribue également une prime pour les exploitations certifiées Haute valeur environnementale (HVE), et une autre pour celles certifiées Global Gap. Grégory bénéficie des deux primes : en 2024, elles étaient de 2 880 euros pour la HVE (prime proportionnelle au chiffre d’affaires de l’exploitation) et de 2 060 euros pour Global Gap (prime forfaitaire pour les petites structures comme la sienne).
Diversifier les variétés
L’arboriculteur soulève néanmoins des problèmes sanitaires de plus en plus fréquents sur les longues cannes. L’origine serait à trouver aux Pays-Bas, pays producteur des plants. « Nous n’arrivons pas au potentiel de rendement », résume-t-il. Ce constat est partagé par la coopérative : « Alors qu’on atteignait facilement 3 kg par pot il y a dix ans, on est aujourd’hui autour de 2,3 kg, commente Céline Charles. Les bénéfices qu’on avait à faire de la longue canne s’érodent alors que son prix d’achat augmente. Or, pour amortir les investissements de départ, il nous faut des bêtes de concours. »
Grégory et d’autres collègues réfléchissent à des solutions de diversification, telles que les variétés remontantes. Céline Charles imagine aussi des démarches collectives où un producteur prendrait en charge l’élevage des plants et les autres, la production. Mais ces idées, à étudier et concrétiser, ne régleront pas tous les problèmes : les Pays-Bas restent les leaders sur le marché de la pépinière, quels que soient les types variétaux.
(1) La coopérative Sicoly est basée à Saint-Laurent-d’Agny dans le département du Rhône. Elle regroupe environ 80 producteurs de fruits à noyaux, à pépins et petits fruits. Elle se situe dans le top 3 des faiseurs de framboises et cerises en France.