Avec un potentiel nourricier de 130 %, la France exporte sa production au lieu de nourrir ses habitants. C’est le constat « ubuesque » posé par l’association Terre de Liens dans un rapport sur la souveraineté alimentaire, diffusé le 17 février 2025. Le pays dispose pourtant de 28 millions d’hectares agricoles, une surface en théorie suffisante pour couvrir sa consommation dans une majorité de productions.
« Pourtant, dans de nombreuses filières, la France produit pour exporter, et importe pour se nourrir », indique Terre de Liens. Selon l’association, cette situation s’explique, d’un côté, par l’insertion de l’agriculture dans le commerce international et, de l’autre, par la montée en puissance de l’industrie agroalimentaire.
Dans son rapport, elle indique que les produits agricoles exportés mobilisent 43 % de la surface agricole utilisée (SAU) française, soit 12,4 millions d’hectares. Cela représente plus de la moitié des surfaces céréalières, fruitières et maraîchères, ainsi qu’un quart des surfaces d’élevage. Dans ces conditions, « la surface disponible par habitant pour se nourrir est réduite à 2 100 m², là où il en faudrait quasiment le double pour se nourrir », calcule Terre de Liens.
10 millions d’hectares mobilisés aux quatre coins du monde
Pour autant, les exportations françaises sont également très dépendantes d’intrants importés. La France importe chaque année 8,5 millions de tonnes d’engrais pour fertiliser les cultures, créant une dépendance à l’égard de la Russie ou du Maroc. Elle importe aussi 4 millions de tonnes de soja d’Amérique du Sud pour nourrir le bétail. « Pour les produire, il faudrait y consacrer toutes les terres agricoles de la Bretagne », souligne l’association.
Au total, l’alimentation française mobilise près de 10 millions d’hectares aux quatre coins du monde, soit « une surface équivalente à la taille de l’Islande ». Selon Terre de Liens, l’agriculture française s’est fortement industrialisée pour s’imposer sur le marché mondial. « Aujourd’hui, quatre cultures (blé, orge, colza et maïs) couvrent 55 % des terres arables » et « au moins 5 millions d’hectares sont consacrés à l’alimentation animale (maïs, céréales, oléoprotéagineux), dans une logique d’intensification de l’élevage », rappelle l’association.
« Une politique agricole à contre-courant »
Terre de Liens estime que ce système alimentaire qui préfère l’exportation à la consommation locale est la conséquence d’une Pac utilisée à contre-courant, où « 20 % des plus gros bénéficiaires perçoivent 51 % des aides directes ».
« Les soutiens publics au système agroalimentaire s’élèvent à 48 milliards d’euros en 2021, de quoi financer une politique alimentaire ambitieuse, mais ces montants sont peu utilisés comme levier pour faire évoluer notre système alimentaire », explique l’association. Elle ajoute que les acteurs de l’aval reçoivent 16,4 milliards (34 %), « principalement sous forme d’exonérations fiscales et de cotisations sociales ».
À l’heure où la France entend se doter d’une loi d’orientation agricole pour préserver sa souveraineté alimentaire, Terre de Liens appelle le gouvernement à mettre en cohérence production agricole et besoins alimentaires. « Il est crucial de transformer radicalement les politiques publiques afin qu’elles répondent aux besoins alimentaires de toutes et tous, protègent les ressources naturelles et valorisent le travail des agriculteurs et des agricultrices », estime-t-elle.
L’association suggère ainsi de réorienter la Pac vers politique agricole et alimentaire commune (Paac), de massifier les installations agricoles pour une agriculture nourricière et riche en emplois et de démocratiser le système alimentaire par la participation citoyenne dans les instances agricoles. Elle souhaite également un encadrement des acteurs de l’aval pour permettre une transition agroécologique globale.
Enfin, elle demande que les collectivités locales se voient attribuer une compétence en matière d’alimentation, afin d’intégrer à leurs missions la relocalisation des infrastructures de transformation.