C’est un impressionnant convoi qui s’est étiré dans les artères de la capitale belge, le 18 décembre 2025. La FNSEA tablait sur 4 000 agriculteurs français. Ils sont venus plus nombreux encore, selon plusieurs représentants sur place, gonflant les rangs d’une manifestation qui a rassemblé au moins 10 000 personnes, selon le syndicat majoritaire.
« Au début, on devait être une trentaine de tracteurs en tout, indique le vice-président de la FNSEA, Luc Smessaert, parti de l’Oise la veille avec seize engins. Plus de 250 se sont finalement mobilisés, des Hauts-de-France, de l’Oise, du Nord et du Pas-de-Calais. » Cet engouement de dernière minute témoigne selon lui d’une exaspération latente depuis les manifestations de l’hiver 2023, nourrie par la perspective d’un accord commercial jugé délétère, dopée encore par la crise sanitaire qui frappe les élevages.
Les dossiers qui s’empilent
Si officiellement, c’est l’accord avec le Mercosur – et dans une moindre mesure, la Pac et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) – qui monopolise les pancartes et les discours, une autre inquiétude traverse les rangs : la dermatose nodulaire contagieuse, qui a provoqué d’autres contestations dans le Sud-Ouest. Les responsables syndicaux admettent que la propagation de l’épizootie a galvanisé les troupes, poussant à se mobiliser ceux qui hésitaient encore.
« On parle de Mercosur, mais c’est tout le système qui pose problème, toutes ces décisions qui sont prises en ignorant ce qu’est notre quotidien, évidemment qu’à la fin : c’est le point de rupture », lâche un éleveur venu des Hauts-de-France, listant toutes les frustrations accumulées. Ainsi l’accord avec le Mercosur devient le symbole d’une Europe qui serait sourde aux réalités agricoles, celle qui ouvre ses frontières sans protéger ses producteurs, celle qui impose des normes tout en laissant entrer des produits qui n’y sont pas soumis, dénoncent aussi des producteurs italiens.
Sur une grande scène dressée en pleine rue, lumières et sono dignes d’un concert, les responsables syndicaux européens se succèdent pour porter la voix des manifestants. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, déclare : « Troquer l’agriculture contre d’autres secteurs de l’activité économique de ce continent n’a pas de sens. Jamais nous n’accepterons de voir des produits qui ne respectent pas nos standards venir du reste de la planète. » Le responsable évoque aussi la nécessité d’un budget de la Pac « qui réaffirme que l’agriculture contribue depuis la création de l’Europe à sa structuration » puis dénonce le MACF qui « renchérit » les coûts sans que les agriculteurs « puissent le supporter ». Puis il interpelle le commissaire européen à l’agriculture, Christophe Hansen : « Nous avons besoin aujourd’hui que dans le collège des commissaires, il porte une voix forte. Qu’il aille se battre pour continuer à avoir une agriculture. »
Davantage de tensions aux abords du Parlement
En matinée, le cortège s’écoule dans un calme relatif. Vers le milieu de journée, aux abords des institutions européennes, l’atmosphère se tend progressivement. Les manifestants se massent devant le Parlement européen, certains jettent des pommes de terre en direction de l’édifice.
L’ironie de la scène n’échappe pas aux observateurs : les eurodéputés ne sont pas là. Réunis cette semaine-là à Strasbourg pour la session plénière, ils ont d’ailleurs voté mardi un renforcement des clauses de sauvegarde destinées à protéger les agriculteurs face aux importations du Mercosur. Un vote adopté à une large majorité, qui abaisse notamment les seuils de déclenchement des mécanismes de protection. Mais pour les manifestants massés devant un Parlement vide, ces garde-fous restent largement insuffisants.
La mobilisation se poursuit en régions
La séquence ne s’arrêtera pas là pour les Français. Demain, 19 décembre, les agriculteurs sont appelés à maintenir la pression dans leur région. Pour cause, le Conseil européen qui réunit les chefs d’État et de gouvernement n’est pas fini. Si le Mercosur n’apparaît pas officiellement à l’ordre du jour, les discussions pourraient l’évoquer dans le volet consacré à la géoéconomie. Les syndicats espèrent qu’en maintenant la mobilisation, ils pèseront dans les arbitrages de dernière minute. Arnaud Rousseau l’a martelé depuis la scène bruxelloise : les agriculteurs reviendront « encore et toujours ».