Une flambée des prix des œufs, sur fond de forte inflation et de sanctions économiques, inquiète les autorités russes, d’autant qu’ils constituent un ingrédient symbolique et central des fêtes de fin d’année. Le Kremlin insiste depuis des mois sur le fait que la Russie résiste vaillamment aux multiples mesures de rétorsion visant le pays depuis l’assaut lancé contre l’Ukraine en février 2022. Il pointe une croissance qui est repartie à 5,5 % au troisième trimestre, contre –3,5 % à la même époque de 2022.
Les autorités portent ce message optimiste avec d’autant plus d’insistance, que la présidentielle de mars 2024, qui doit prolonger l’ère de Vladimir Poutine, approche. Mais le pouvoir d’achat des Russes s’est bel et bien érodé depuis deux ans, la faute à un rouble très affaibli et une inflation obstinément forte qui, en novembre, s’établissait à 7,48 % sur un an. Le prix des œufs est devenu un exemple particulièrement éloquent qui agite médias et internautes dans un pays où le débat public a été largement éliminé sur fond de répression.
Une hausse de 40,29 %
En novembre, les œufs avaient augmenté en moyenne dans le pays de 40,29 % sur un an, selon Rosstat, l’agence russe de la statistique. Des consommateurs moscovites, interrogés par l’AFP, font même état de hausses encore plus salées. « Avant, j’achetais les œufs à 70 roubles la dizaine. Maintenant, ça me coûte entre 130 et 140 roubles, soit le double ! », s’insurge Ilia Zaroubine, un étudiant de 21 ans.
« Je suis choquée ! […] C’est horrible ce qui se passe avec les prix ! Pas seulement ceux des œufs, mais de tous les produits », fait écho Elizaveta Chalaïevskaïa, retraitée de 76 ans, rencontrée dans les rues de Moscou. L’agence vétérinaire et phytosanitaire Rosselkhoznadzor a en réaction autorisée vendredi l’importation d’œufs en provenance de la Turquie, et le ministère russe de l’Agriculture propose d’interdire l’exportation d’œufs pour six mois.
Le procureur général, Igor Krasnov, a lui ordonné la semaine dernière à ses subordonnées de lancer dans les régions des vérifications auprès de producteurs et de points de vente quant à une éventuelle hausse injustifiée des prix. L’inflation du prix des œufs a aussi donné lieu à des scènes inhabituelles samedi, des foules faisant la queue pour des œufs lors d’une foire agricole de la région de Belgorod car les prix y étaient bien moins élevés qu’au supermarché, selon des vidéos devenues virales sur les réseaux sociaux.
« Pas de pénurie »
« Afin que tout le monde puisse acheter des œufs, il a été décidé de ne vendre que deux dizaines d’œufs par personne », avait dû réagir, face à la ruée, la vice-gouverneure régionale, Ioulia Chtchedrina. « Il n’y a pas de pénurie, […] il y aura des œufs pour tout le monde », avait-elle encore assuré, sur Telegram. La crainte de pénuries renvoie à l’époque soviétique, où les queues et les combines pour acheter des produits alimentaires de base étaient devenues un défi du quotidien.
Selon des experts, cités par des médias russes, la hausse du prix des œufs est due à la hausse du coût de l’alimentation des volailles et des produits vétérinaires, conséquence indirecte des sanctions imposées par l’Occident à la Russie depuis février 2022 et qui ont provoqué une hausse des prix de produits importés. Le poulet lui-même est d’ailleurs en hausse de 29,26 % en novembre 2023 par rapport au même mois de l’année précédente, selon Rosstat.
Le prix des œufs est scruté de près par les familles russes en décembre, car les œufs et la mayonnaise sont des ingrédients centraux des repas des festivités de fin d’année, en particulier la salade Olivier, plat incontournable durant la nuit du nouvel an. « Coûte que coûte, je vais me préparer une salade Olivier pour le nouvel an, même si les produits sont devenus plus chers, lance à l’AFP Elena, 60 ans, administratrice d’un service d’assistance psychologique à Moscou. Mais c’est triste et c’est dommage que [les œufs] aient augmenté. »