Les combats en Ukraine ne faiblissent pas mais sur le terrain se joue une autre bataille qui se poursuivra sans doute au-delà de la guerre : la réhabilitation des terres agricoles. Pilonnés par les obus des deux camps pendant des semaines puis minées, les champs ukrainiens ont perdu de leur potentiel agronomique, quand il ne représente pas un danger de mort pour les producteurs. Les services d’urgence de l’Ukraine estiment que 2,5 millions d’hectares seraient concernés.
Pour aider les agriculteurs et les communautés rurales d’Ukraine, l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont lancé une vaste opération pour sécuriser les terres agricoles. Yevhen Ivanov, le gouverneur adjoint de l’administration militaro-civile de Kharkiv à la frontière russe, a accueilli très favorablement l’initiative, tant la situation est critique. « La région de Kharkiv est l’une des plus minées d’Ukraine, donc nous avons vraiment besoin de ce type d’organisation pour aider les agriculteurs de ces territoires à reprendre leurs activités », souligne-t-il.
« Il y a des morts »
Ce projet colossal et minutieux démarré par la FAO et le PAM en mars de cette année, implique à la fois les autorités locales, des ONG spécialisées ainsi que le Centre national de recherche de l’institut des sciences du sol et de l’agrochimie. Pour le français Pierre Vauthier, qui dirige l’antenne ukrainienne de la FAO, la situation sur place est grave. « Il y a eu plusieurs estimations mais nous parlons de 470 000 hectares potentiellement minés, donc le danger il est là, car les agriculteurs cultivent. J’en ai vu certains qui commencent à labourer ou passent des disques et doivent s’arrêter parce qu’ils sont tombés sur quelque chose. Et il y a des morts », alerte-t-il.
Au-delà du danger principal que représentent les mines, la guerre laisse de nombreux autres stigmates derrière elle. Les bombardements par exemple, vont à la fois éventrer les parcelles agricoles et déplacer des montagnes de terre, mais ils peuvent aussi contaminer les sols. « Les explosifs vont répartir des composés chimiques notamment des métaux lourds et c’est un casse-tête. Nous pensons que c’est limité mais nous devons l’évaluer » relate Pierre Vauthier.
Un projet en plusieurs phases
L’ampleur des dégâts subis par les zones rurales en Ukraine ne permettant pas de lancer un programme de réhabilitation pour tout le territoire. La FAO et le PAM se sont donc résolus à sélectionner les zones et les exploitants qui seront assistés. « L’idée, c’est de se focaliser sur des terres qui ont un impact économique mais aussi un impact social. C’est pour ça que l’on se limite à des fermes de 300 ha dans la région de Kharkiv. Mais si d’autres financements arrivent, on pourra envisager d’augmenter ce plafond » précise Pierre Vauthier.
2,5 millions d’ha contaminés
dont 470 000 ha minés
Une fois la zone à déminer déterminée, une cartographie détaillée à l’aide d’imagerie satellite est développée, avec l’appui des autorités locales, dont le ministère de la Politique agraire ukrainien. Les équipes techniques de la Fédération suisse de déminage (FSD), qui sont associées aux Nations unies, se rendent sur place pour survoler les terres ciblées afin d’estimer l’étendue des dégâts. « Parfois, il se peut que 40 ha soient suspectés mais que l’étude technique révèle que seulement 20 sont en fait touchés. Rien que par cette opération, on peut libérer des zones » souligne Pierre Vauthier.
Penser à l’après
Ce programme mis en place par la FAO et le PAM a donc plusieurs dimensions. Mais l’une des plus importantes reste l’aide apportée pour que les agriculteurs ukrainiens puissent redémarrer leur activité. Seulement pour beaucoup d’entre eux, c’est encore inenvisageable. « Pour certains, leur matériel a été endommagé mais il y a eu aussi beaucoup de vols » abonde Yevhen Ivanov.
Une partie du budget est donc dédiée au financement des moyens de productions. « Quand un agriculteur ferme boutique, c’est tout le village qui est affecté » rappelle Pierre Vauthier. Les agriculteurs seront donc aidés avec du matériel et des approvisionnements, notamment des semences.
Sur le plan budgétaire, le projet est financé à hauteur de 10 millions de dollars, issus du fonds humanitaire ukrainien. Mais les besoins restent toutefois importants, tant l’ampleur de la tâche est colossale. Les Nations unies et les autorités ukrainiennes continuent donc d’espérer l’arrivée de fonds pour étendre cette mission. « Nous avons besoin d’aide et de ressource. On a besoin de l’aide du monde entier. Des spécialistes sont venus sur place à Kharkiv, ils n’ont jamais vu une situation aussi difficile » clame Yevhen Ivanov.