Que pèse l’Ukraine sur le marché mondial des produits agricoles ?
Diane Mordacq : Ce n’est pas possible de produire de tout, partout, tout le temps. C’est en cela que le commerce international est nécessaire. Pour sa part, l’Ukraine procurait avant la guerre, en volume, 5 % des produits agricoles mondiaux échangées, dont 4 % de céréales et oléagineux. Pour mettre à la disposition du marché international de si importants volumes, l’Ukraine avait récolté 106 millions de tonne en 2021. Mais en ce moment, c'est la douche froide : pour 2023, l’Ukraine devrait produire 53 millions de tonnes, soit la moitié. Pendant ce temps, le nombre de bouches à nourrir n’a jamais été aussi important et les conditions de culture dans le reste du monde aussi sujettes aux aléas climatiques.
Qu’est-ce que la guerre a révélé comme stratégie d’influence ?
Très peu de pays dans le monde voient, dans les dernières années, leurs quantités de céréales et oléagineux disponibles à l’exportation augmenter significativement. Parmi les exceptions, l’Ukraine mais également la Russie. Prenons comme exemple le blé, qui représente un tiers des céréales échangées. Seuls huit pays concentrent 80 % de ces échanges, dont la Russie qui est devenue le premier exportateur mondial en 2016, devant les États-Unis. La Russie a fait de ses quantités exportables croissantes le cœur de sa stratégie d’influence, d’autant plus depuis le début du conflit et l’affaiblissement contraint de l’Ukraine, l’autre grand pays exportateur de la région. La politisation des exportations agricoles est notamment visible sur le continent africain, qui représente aujourd’hui environ 30 % des achats de blé mondiaux. Et sans doute plus demain car il s’agit du continent avec la plus forte croissance démographique. Pour ne citer qu’un exemple, l’Algérie, qui a vu les importations de blé russe quadrupler en 2022, s’est parallèlement rapprochée du pays sur la sphère militaire et diplomatico-politique avec la demande d’adhésion d’Alger au groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Nous avons besoin d’une France agricole et d’une Europe agricole fortes. Évitons d’être le seul herbivore dans ce monde de carnivores !
Quelles seront les conséquences d’une adhésion de l’Ukraine dans l’Union européenne ?
Avant la guerre, l’Ukraine était le quatrième fournisseur de l’Union européenne en produits agricoles et agroalimentaires. Elle représentait 90 % des importations d’huile de tournesol, 20 % des importations de blé et 50 % des importations de maïs. Son adhésion permettrait de sécuriser ces approvisionnements. Elle permettrait également de renforcer la puissance agricole de l’Union européenne. Les exportations en provenance de pays membres de l’Union pourraient ainsi couvrir plus de destinations, bien qu’aucune origine « Union européenne » n'existe aujourd’hui. D’un autre côté, l’agriculture ukrainienne risque de faire concurrence au reste des pays de l’Union européenne, qui disposent de coûts de production plus élevés. Reste à trouver un équilibre ! Cette situation est d’ailleurs déjà observable en ce moment, puisque les droits de douanes en provenance de l’Ukraine et à destination de l’Union européenne ont été suspendu depuis juin 2022, et que l’Ukraine n’est pas contrainte à l’environnement productif de l’Union européenne.
Le changement climatique peut-il modifier ces rapports de force ?
Ceux qui sont bons aujourd’hui ne le seront peut-être plus demain, car leurs territoires n’auront plus les mêmes qualités. Outre le défi de production, l’agriculture devra aussi participer à la restauration de l’environnement. Un double défi qui nécessite qu’on porte une attention toute particulière à la science et à l’expérience et au partage de celles-ci. Ce n’est pas nouveau, le faire ensemble permet de réaliser ce qui n’est pas envisageable seul !
Le Club Demeter vient de publier son rapport annuel Agriculture et Alimentation : la durabilité à l'épreuve des faits, Iris édition, 400 pages, 25 euros.