Il y a près d’un an, Eduard Herman, producteur de blé, de tournesol et de fruits à environ 150 kilomètres au nord-ouest de Marioupol, dans la région de Zaporijia, nous racontait la vie de son exploitation au début du conflit. Après une année de guerre, il nous apporte une nouvelle fois son témoignage.

Déminer les champs

Depuis le début de la guerre, l’exploitation familiale d’Eduard est en zone de conflit. Les bombardements y sont fréquents et réguliers, et différents projectiles sont retrouvés dans les champs. Pour les éliminer, une inspection préliminaire par drone est effectuée afin de juger de leur dangerosité. Ils sont ensuite pris en charge par les services de déminage, qui les font exploser dans les champs ou les désactivent, si possible, avant de les déplacer.

« C’est plus ou moins la procédure standard, qui se déroule presque toutes les deux semaines », précise Eduard. Lorsque les services de déminage sont saturés, les zones dangereuses de l’exploitation sont identifiées afin que personne ne s’y rende pour travailler avant l’arrivée des démineurs. « Et lorsque les projectiles ne sont plus dangereux, on peut les enlever nous-même. »

© Eduard Herman - Des projectiles, parfois encore prêts à exploser, sont retrouvés dans les champs et vergers de l'exploitation.

Un projectile s’est aussi abattu aux pieds du bâtiment abritant les bureaux de l’exploitation. Toit et fenêtres ont été réparés, permettant d’utiliser le bâtiment encore à ce jour. Des attaques aériennes sont également à craindre. « C’est arrivé autour de nous. Une société située à seulement 3 ou 4 km a été attaquée à plusieurs reprises », raconte-t-il.

Pertes de production

Le déminage a permis un accès quasi-total aux parcelles de l’exploitation pour les semis et les moissons, qui ce sont « globalement et relativement bien déroulés », même si quelques problèmes ont été rencontrés au printemps sur certaines terres. La production n’a toutefois atteint que 50 à 60 % de la moyenne. En cause principalement, le manque de produits phytosanitaires et d’engrais ayant conduit à une application de doses partielle, et pas toujours au bon moment.

Contrairement aux semences, qu’il avait en stocks, l’approvisionnement en produits phytosanitaires, engrais et fuel s’est avéré très problématique. Par manque de disponibilité, mais aussi du fait des prix « trois à quatre fois plus chers qu’avant la guerre », rapporte l’agriculteur. « Nous avons eu des problèmes financiers pour ces achats, sans pouvoir obtenir de crédits supplémentaires, car déjà contractés depuis le début du conflit. Les problèmes d’approvisionnement en engrais persistent encore », signale-t-il.

Dans les vergers, c’est aussi le manque de main-d’œuvre qui a pénalisé les récoltes. « À peu près 30 % des cerises ont été laissées sur les arbres », indique Eduard. « La hausse du salaire des saisonniers a eu une grosse influence sur leur venue, mais n’a pas suffi à combler les manques. Beaucoup de personnes ont quitté la zone », précise-t-il.

En ce moment, la taille des vergers bat son plein, réalisée par des locaux. « Pour eux, c’est une source de revenu, pour nous c’est une grande aide pour sauver nos vergers, parce que la société qui nous « fournissait » habituellement les saisonniers est aujourd’hui en territoire occupée », détaille l’agriculteur.

Cette année, l’exploitation comptait cinq salariés permanents, contre vingt-cinq habituellement. « Certains ont quitté la région, d’autres ont rejoint l’armée, d’autres ne voulaient juste pas travailler pour de l’argent qu’on ne pouvait pas leur payer [immédiatement] », explique-t-il.

Ventes à prix cassés

Étant proche de la ligne de front, la ferme d’Eduard fait face à de grosses problématiques logistiques : « Au début, nous ne pouvions tout simplement rien vendre, parce que c’était très dangereux et que personne ne voulait s’aventurer dans cette zone, jusqu’à cet automne, même si la ligne de front est toujours là ».

L’envolée des prix des grains n’a pas profité à Eduard. L’année dernière, « on a vendu très peu de blé aux alentours des 300 dollars. Aujourd’hui en Ukraine, on peut trouver la tonne à 150 dollars. Nous, on ne peut même pas vendre à ce prix-là à cause du coût logistique [dans cette zone dangereuse]. Donc le prix final est d’environ 100 euros la tonne, ce qui couvre peu de choses ».

En tournesol, la situation est similaire. « Les prix ont aussi été divisés par trois. Le tournesol a peut-être un peu plus facile à vendre, mais on ne retrouve toujours pas les marges d’avant-guerre. La quasi-totalité de la production a pu être vendue, et les silos de l’exploitation sont presque vides. Les capacités de stockage sur la ferme auraient permis d’attendre une éventuelle remontée des prix pour vendre les grains, mais le risque d’une destruction des silos avec une perte des récoltes est trop grand », estime Eduard.