Rien ne vaut la pratique sur le terrain. Cet adage vaut aussi pour les métiers de l’agriculture. Les établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA) (1) abritent 192 exploitations dont la moitié est orientée vers la polyculture-élevage. Au sein du Centre national de l’enseignement agricole privé (Cneap), 42 exploitations agricoles servent de support à l’enseignement.
L’enseignement agricole face aux défis de demain (13/03/2024)
Qu’est-ce qui distingue ces fermes d’une exploitation classique ? Peu de choses si l’on en croit Luis Da Costa, proviseur au lycée public Gilbert Martin au Neubourg (Eure). « Les élèves voient une exploitation agricole réelle. Ce n’est pas un atelier pédagogique mais plutôt un support pédagogique en situation réelle », insiste-t-il. « L’exploitation est une vraie ferme qu’on peut mettre en place chez soi et qui doit être rentable », ajoute Simon-Pierre Escudero, directeur adjoint du lycée privé Étienne Gautier Ressins de Nandax (Loire). Florentin, en BTS au lycée agricole public Le Valentin de Valence (Drôme) l’atteste : « L’exploitation permet d’avoir des cas concrets, cela nous sert en exemple en cours. »
« Produire autrement »
Depuis 2014, le plan « Enseigner à produire autrement pour les transitions et l’agroécologie », conduit par la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER), vise à généraliser l’agroécologie dans l’enseignement agricole public et privé.
En 2021, il visait à ce que 90 % des exploitations des établissements publics aient arrêté l’usage du glyphosate ou encore que 30 % de la SAU de l’enseignement agricole soit certifiée AB dans les quatre ans. En 2024, 31 % des exploitations de l’enseignement agricole public sont conduites intégralement en agriculture biologique, 72 % possèdent au moins un atelier bio et 48 % sont certifiées « Haute valeur environnementale ».

« Le ministère nous donne les grandes lignes directrices. Mais l’agroécologie, on y vient et ceci avec les mêmes réalités et contraintes qu’une exploitation classique », explique Luis Da Costa. « De toute façon, on a besoin de changer, appuie Thomas Belleville, directeur de l’exploitation dont une partie de la SAU est déjà convertie à l’agriculture biologique. On voit cela comme une opportunité plutôt qu’une contrainte. »
Une opportunité, qui pour certains, relève d’un véritable travail d’équilibriste. Car entre rentabilité économique, visée pédagogique et agroécologie, « on nous demande parfois de faire l’impossible », regrette Guillaume Fichepoil, directeur de l’exploitation du lycée de Valence. En 2024, la DGER a révélé que la situation financière de nombreux EPLEFPA s’était dégradée, plus de 30 % des établissements sont considérés comme en crise potentielle ou avérée.
Le financement
« La recherche et l’expérimentation signifient un tâtonnement, des échecs dont on retire des enseignements […] mais un coût budgétaire », écrivaient les sénateurs en 2021 dans un rapport d’information sur l’enseignement agricole. Les élus recommandaient à cet effet d’intégrer les pertes financières dues à l’expérimentation et à la recherche dans les coûts pédagogiques de fonctionnement de l’établissement. Dans le pacte d’orientation et d’avenir agricole, la mesure 12 entend « faire des exploitations de l’enseignement agricole des incubateurs de projets innovants » et d’y renforcer la diffusion de pratiques agroécologiques. Un minimum de 20 millions d’euros du budget de France 2030 doit venir renforcer ces ambitions.
Outre la performance environnementale, ces exploitations doivent aussi répondre à des objectifs économiques. « Il ne s’agit pas d’évaluer la rentabilité mais d’envisager des critères qui permettront la comparaison avec d’autres exploitations », précise toutefois le ministère de l’Agriculture. La DGER indique les critères indicatifs retenus : la rémunération d’au moins un équivalent temps plein et un chiffre d’affaires annuel d’au moins 100 000 euros issus de vente de biens ou de services à des clients extérieurs.
Aujourd’hui, quelques projets portés par les établissements publics peuvent bénéficier du financement du programme national de développement agricole et rural (PNDAR). C’est le cas du projet Glycos’EPA qui accompagne plusieurs établissements dans l’arrêt de l’utilisation du glyphosate. Au Neubourg, l’exploitation agricole a bénéficié de l’appui financier de la région pour certains de ses investissements via des appels à projets.
Dans les établissements privés, l’exploitation bénéficie des mêmes aides qu’une exploitation classique. « Mais sans la transparence Gaec ! », note Samuel Thollet, responsable de l’exploitation du lycée agricole de Nandax.
Le rôle de responsable d’exploitation
« Je me serais installé, j’aurai crééé le même type d’exploitation, confie-t-il. Il s’agit d’un projet cohérent pour moi, pour les élèves et pour notre territoire. » Si le responsable d’exploitation d’un établissement d’enseignement reste encore maître dans ses prises de décision, « on doit se concerter pour les gros investissements, l’achat de matériel ou le lancement de travaux », précise Thomas Belleville, du lycée du Neubourg. Les projets sur l’exploitation doivent être validés en amont par le conseil d’exploitation en concertation avec le responsable d’exploitation.
Dans le public, si le chef d’exploitation est considéré comme un fonctionnaire de l’État et est rémunéré comme tel, les salariés sont eux rémunérés par le produit de la ferme. Dans l’enseignement privé, le poste du responsable d’exploitation est financé par l’exploitation. « La ferme a des enjeux économiques à tenir, souligne Simon-Pierre Escudero, de Nandax. Le responsable d’exploitation a le même travail qu’un chef d’exploitation classique mais avec un aspect pédagogique. Il s’agit de faire le grand écart entre les salariés de la ferme, pour lesquels on a des attentes économiques et techniques, et les enseignants, qui ont des attentes pédagogiques. »
« Il faut savoir tout faire, et en même temps rendre des comptes, abonde Guillaume Fichepoil, directeur d’exploitation depuis douze ans. Cela demande des compétences très diverses : techniques, de communication, de gestionnaire, de ressources humaines… »
« Le directeur doit inscrire son action dans le cadre d’une gouvernance complexe où différents acteurs, internes et externes, sont susceptibles de porter un regard et de faire valoir des positions qui ne peuvent être ignorées », confirme un rapport de l’inspection de l’enseignement agricole de 2020. Sur les exploitations agricoles d’enseignement, la moitié des directeurs d’exploitation reste moins de quatre ans sur le poste.
L’envie de transmettre
« L’accueil des jeunes sur la ferme, ça a motivé à 90 % ma prise de poste, confie Thomas Belleville, responsable de l’exploitation du Neubourg depuis l’été dernier. J’avais une forte volonté de transmettre mon expérience à des jeunes. »
Reste que le recrutement des salariés agricoles subit le même désamour que sur les exploitations classiques, voire plus. Au Valentin, les salariés agricoles bénéficient d’une prime pour encadrer les jeunes. « Cela permet de justifier que ça fait partie du travail, et encourage à ce qu’ils le fassent bien », glisse Frédéric Lalanne, proviseur du lycée. « Même si on forme des anciens élèves, cela reste compliqué. Ce qui est difficile c’est la partie élevage puisqu’il y a des astreintes », déplore Guillaume Fichepoil, chef d’exploitation au Valentin

« Ce n’est pas facile de trouver parce que sur une exploitation de lycée, il faut toujours se remettre en question ! », ajoute le proviseur. « Lors du recrutement, on est vigilant sur le fait que le salarié soit prêt à s’occuper des jeunes », poursuit Simon-Pierre Escudero. Au lycée Étienne Gautier Ressins, le projet d’établissement prévoit qu’une dizaine d’élèves vienne travailler quotidiennement sur un des quatorze ateliers de la ferme.
Alors députée, l’actuelle ministre de l’Agriculture avait déposé un amendement au projet de loi d’orientation rendant obligatoire les fermes d’enseignement. Une mesure qui n’a pas été retenue dans les discussions finales. Vitrine de l’agriculture de demain, difficulté de recrutement, multiplicité des acteurs et nécessaire rentabilité économique, les fermes d’enseignement doivent jongler en permanence pour assurer leur survie, dans un monde agricole déjà en difficulté.
(1) En 2024, cela regroupe 220 lycées d’enseignement général, technologique et professionnel, 95 des centres de formation pour apprentis (CFA) et 156 centres de formation professionnelle et de promotion agricoles (CFPPA) (source : Portrait de l’enseignement agricole, 2024).