À la mi-octobre, dans la plaine de Marolles-en-Beauce, dans le sud de l’Essonne, 220 brebis pâturent des couverts végétaux. « Elles sont arrivées au début d'octobre et resteront sur l’exploitation jusqu’au début de juin, avant le semis du sarrasin », expliquent Évelyne et Henri Sergent, agriculteurs (1). « Elles pâturent une parcelle d’un hectare, aménagée avec un filet électrifié, pendant 2,5 jours avant d’être déplacées », précise Éric Sil, berger avec son fils. La hauteur du couvert pâturé est alors comprise entre 7 et 15 cm.
Viser l’autonomie
Sur l’exploitation de 151 hectares de grandes cultures conduites en agriculture biologique, des semences (triticale, sarrasin, pois fourrager et lentilles) sont cultivées sur 40 % de la sole. Le couple produit également des lentilles, vendues triées à la coopérative bio de l’Île-de-France à destination de la restauration collective, du seigle et du blé pour un meunier voisin.
« Nous visons la qualité des productions et l’autonomie, en privilégiant les circuits courts et en réduisant au maximum le recours aux intrants ou au matériel de désherbage par le développement des couverts, souligne Henri Sergent. Depuis la conversion de la ferme en 2009, il ne manquait qu’un maillon dans mon système : les animaux pour valoriser les couverts. »
Alors que Henri Sergent et Éric Sil se connaissaient depuis longtemps, une nouvelle rencontre au Salon de l’agriculture a permis de concrétiser leur projet commun en 2020. À une condition, qu’ils ont tous les deux posée : que ni le berger, ni le céréalier, ne demande une rétribution à l’autre.
« Le projet se base sur la solidarité paysanne entre un éleveur sans terre et un céréalier qui a besoin de valoriser ses couverts », expliquent les deux hommes, qui ont signé un contrat entérinant l’absence de transactions financières, mais aussi le respect du cahier des charges bio et le suivi des contraintes agronomiques notamment.

Avoine et vesce en majorité
Après la récolte des céréales, Henri Sergent sème un mélange à base d’avoine et de vesce, complété par des radis chinois et fourrager, trèfles incarnat et d’Alexandrie, sainfoin, et résidus de triage (toutes les productions de la ferme sont triées au minimum deux fois avant la vente). Les multi-espèces permettent de diversifier la ration des animaux et les effets agronomiques sur le sol.
Avant les brebis, le rouleau Faca était utilisé pour maîtriser le couvert de toutes les parcelles. Désormais, seules les premières parcelles pâturées à l’automne et dont le couvert a beaucoup repoussé doivent être roulées avant le semis. « En général, les brebis ne repassent pas deux fois sur la même parcelle pour éviter le surpâturage et les parasites », souligne Éric Sil.
« Néanmoins, en mai et juin avant le semis de sarrasin, elles pâturent des parcelles déjà vues à l’automne, poursuit le berger, qui valorise les agneaux en vente directe et auprès de sa coopérative. Mais un couvert y a été ressemé en février. Entre juin et octobre, les moutons pâturent des espaces naturels sensibles en prestation pour la Région. »
La population de limaces et de mulots a baissé de 60 % grâce au piétinement. « L’entretien des couverts favorise aussi la présence des hérons, prédateurs des rongeurs », précise Évelyne Sergent.
« En revanche, il faut réapprendre la patience, explique Henri. D’habitude, je sème les lentilles à la fin de mars, mais en 2021, j’ai dû attendre que les moutons aient terminé leur passage. Je n’ai pu semer qu'à la mi-avril. Mais finalement le rendement a été meilleur sur cette parcelle. »
Concernant le pâturage des céréales, il a été testé une année sur l’exploitation. « Le nombre de levées de blé était très faible, se souvient Henri Sergent. À la place de retourner la parcelle, nous avions fait pâturer les brebis pour favoriser le tallage, ce qui avait plutôt fonctionné. » Mais pour l’agriculteur, le pâturage de céréales doit être pratiqué au cas par cas selon l’humidité du sol, le stade de la céréale, le salissement, la densité…
Dans l’immédiat, le céréalier projette de semer du sorgho le long des parcelles de cette plaine exposée au vent pour protéger les animaux.
(1) Lors d’une visite organisée par le Gab Île-de-France et l’association Agrof’île.