Les économistes de la Commission européenne et de la FAO (1) ont évalué les conséquences du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne, aussi appelé « taxe carbone ». Les résultats de leur analyse ont été publiés dans la revue EuroChoices. Ils montrent « l’effet considérable » du mécanisme sur le commerce des engrais et les émissions de gaz à effet de serre.
L’Union européenne est importatrice nette d’engrais minéraux. Une taxation du carbone mise en place de manière unilatérale « augmentera le prix à la production des engrais sur le marché intérieur, stimulera la production nationale et réduira la dépendance aux engrais importés », décrivent les auteurs.
La taxation « stimulera la production » européenne d’engrais
Les prix intérieurs des engrais azotés augmenteraient de 12 % à l’horizon 2040, selon les projections du modèle agricole Aglink-Cosimo que les économistes ont utilisé pour leur analyse. L’impact sur les autres formes d’engrais serait moindre avec une hausse de 4 % du prix de la potasse et de 3 % de celui des engrais phosphorés (2). La production européenne d’engrais augmenterait dans des proportions similaires.
À l’inverse, la demande à l’importation reculerait. Avec un prix du carbone estimé à 100 dollars la tonne (3), les achats européens d’engrais hors de nos frontières diminueraient de 27 % d’ici à 2040 pour l’azote, de 9 % pour le phosphore et de 17 % pour le potassium. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre liés à la production et à la consommation d’engrais diminueraient quant à elles de 1,439 million de tonnes d’équivalent CO2.
Des baisses de production pouvant être « critiques »
Outre son impact sur les engrais, le mécanisme d’ajustement carbone devrait jouer sur les productions agricoles européennes. Les engrais minéraux devraient être légèrement moins utilisés (- 1 %) du fait d’une hausse de leur prix dans l’Union européenne, ce qui entraînera une baisse de la production agricole, à l’exception des légumineuses dont la production augmenterait.
Autre conséquence, les importations de produits agricoles progresseraient, notamment pour les cultures les plus dépendantes des engrais minéraux, telles que le maïs, les pommes de terre, le blé et les oléagineux, selon l’analyse des économistes.
L’impact sur les prix des produits agricoles serait cependant limité à moins de 0,5 %. Les auteurs l’expliquent notamment par le « rôle tampon du commerce en réponse aux chocs de prix ».
Les économistes mettent toutefois en garde contre « les baisses de production agricole résultant de la hausse des prix des engrais ». Ces baisses de production pourraient en effet « être critiques pour une partie des agriculteurs […], ce qui pourrait les conduire à s’endetter ou à les exclure complètement du marché ».
La cohérence entre les pays est « essentielle »
Alors que l’on parvient à réduire les émissions de gaz à effet au sein de l’Union européenne, avec une baisse de 31 % entre 1990 et 2022 selon l’Agence européenne de l’Environnement, on en importe davantage par habitant sur la même période. Les émissions nettes de CO2 par habitant (importations moins exportations) ayant augmenté de 23 %. L’objectif du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est donc de réduire les émissions de gaz à effet de serre par habitant européen.
Dans leur étude, les économistes ont par ailleurs analysé l’extension du mécanisme carbone européen à un ensemble de pays appliquant aujourd’hui une politique similaire, tels que le Canada ou les États-Unis. Les principales conclusions sont qu’ « un mécanisme multilatéral d’ajustement carbone aux frontières aurait moins d’effets de distorsion sur les échanges qu’un mécanisme unilatéral ».
Appliqué dans « un club » de pays, la taxation du carbone permettrait en outre de réduire « deux fois plus les émissions mondiales de gaz à effet de serre » par rapport à un scénario de mécanisme unilatéral. « La cohérence des approches politiques entre les pays est essentielle pour atteindre les objectifs communs de réduction des émissions de gaz à effet de serre », mettent en avant les auteurs.
La taxe, simplifiée, sera mise en œuvre en 2026
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne est entré en phase transitoire le 1er octobre 2023 mais les paiements ne seront exigés qu’à partir du 1er janvier 2026, début de la mise en œuvre du mécanisme. Cette période transitoire a permis à la Commission européenne d’identifier les domaines dans lesquels il est possible de simplifier le mécanisme d’ajustement carbone, ou, à l’inverse, de le renforcer.
Suite à ce travail, une simplification de la « taxe carbone » a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne, pour une entrée en vigueur le 20 octobre 2025. Elle exempte de la taxe carbone les importations de moins de 50 tonnes. Selon la Commission européenne, cette exemption concerne la majorité des 200 000 importateurs européens initialement concernés, mais seulement 1 % des émissions de carbone. Selon l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), elle ne concernerait qu’un volume très limité d’engrais, pour les importations en direct de quelques exploitations agricoles.
La minorité des importateurs qui concentrent 99 % des émissions devra acquérir des certificats carbone pour leurs produits commercialisés au sein de l’Union européenne. Les engrais minéraux font partie des produits importés fortement émetteurs de gaz à effet de serre qui entrent toujours dans le champ d’application du mécanisme d’ajustement aux frontières de l’Union européenne pour 2026.
(1) Organisations des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (2) Les impacts sont comparés à un scénario de référence dans lequel est inclus à partir de 2026 « un prix du carbone du système communautaire d’échange de quotas d’émission sur la production d’engrais dans l’Union européenne à 100 USD/tonne d’équivalent CO2 émis, sans quotas gratuits » (3) Pour cette évaluation, les économistes ont appliqué un prix du carbone de 100 dollars américains par tonne d’équivalent CO2, proche du tarif du système européen d’échange de quotas d’émissions en 2023.