À quelques semaines du début des moissons dans l’hémisphère Nord, les éventuels risques climatiques ont laissé place aux attentes de la part des opérateurs d’une offre abondante dans l'hémisphère Nord. Les fonds financiers continuent de vendre leurs positions en accentuant le mouvement de baisse, dans un contexte géopolitique pénalisant les céréales. Avec un nouveau record sur l’euro face au dollar à 1,16, la compétitivité du blé européen est une nouvelle fois mise à mal, dans un contexte peu porteur sur la scène à l'exportation.

Le blé en manque de soutien

Après deux tentatives de rebond en un mois, le blé rendu Rouen rejoint une fois de plus la tendance baissière à long terme pour s’afficher à 197,50 €/t, franchissant ainsi le seuil psychologique des 200 €/t. Les perspectives d’une offre abondante se rapprochant, les opérateurs se montrent sceptiques quant à l’équilibre du bilan de la prochaine campagne. Avec une hausse de plus de 17 millions de tonnes de blé attendue en Europe par rapport à l’an passé, le Vieux Continent pourrait produire plus de 147 millions de tonnes, s’ajoutant aux 14 millions de tonnes de stocks de début de campagne.

En Russie, la récolte pourrait elle aussi rebondir cette année à près de 85 millions de tonnes. Outre-Atlantique, les qualités des blés d’hiver rassurent les opérateurs avec 54 % de blés notés « bons à excellents », à comparer à la déjà très bonne année passée à 47 %. Le blé américain trouve cependant du soutien grâce à des ventes à l’exportation dynamiques sur la nouvelle campagne.

Face à cette offre attendue abondante dans l'hémisphère Nord, les craintes des opérateurs se portent sur la demande des prochains mois. Après avoir perdu l’Égypte, puis l’Algérie, le blé français doit maintenant faire face à une nouvelle hausse de la parité de l'euro par rapport au dollar. À plus de 1,157, soit le niveau le plus haut depuis octobre 2021, le blé français devra travailler sa compétitivité et ouvrir son marché à de nouvelles destinations.

À cela s’ajoute le vote de la Com­mission européenne la semaine dernière, d’une forte réduction du quota d’importation de blé à 560 000 tonnes jusqu’à la fin de l’année civile, bien inférieur aux 4,2 millions de tonnes importées par l’Union européenne depuis l’Ukraine l’année dernière. Ces disponibilités ukrainiennes pour­raient se retrouver sur le marché mondial, ajoutant encore du disponible exportable. En France, les récentes précipitations ont amélioré la situation, mais les qualités des blés se dégradent légèrement à 69 % en bon à excellent état, selon Céré’Obs.

L’orge à la recherche de compétitivité

Dans ce contexte morose sur le complexe céréalier, l’orge tente tant bien que mal de travailler sa compétitivité à l’exportation. Le retour aux achats de la Chine la semaine dernière pour des chargements en juillet et en août permet à la prime de se maintenir sur des niveaux autour de moins 12 €/t à Rouen, mais ces rares courants d’affaires restent insuffisants pour soutenir le marché français. D’autres céréales pourraient ainsi prendre des parts de marché sur les orges, à l’instar des blés fourragers, qui s’affichent de manière non habituelle à moins de 10 €/t d’écart en Bretagne.

À la veille des récoltes en France, une certaine pression pourra être de mise sur les prix, ne permettant pas aux orges d’inverser la tendance baissière en place depuis février. Les prix des orges à Rouen rejoignent ainsi les plus bas de campagne à 185 €/t. Les récentes pluies en France ont été bénéfiques notamment sur les régions Nord et Grand Est du pays, rassurant ainsi les opérateurs, alors que les premières coupes commencent dans le Sud. Les états des orges d’hiver s’affichent légèrement dégradés de moins un point par rapport à la semaine passée à 64 %, selon Céré’Obs.

Sur le marché des orges brassicoles la tendance baissière a repris après les récentes pluies en Scandinavie, et malgré la bonne dynamique du mois de mai. Faisant suite au rebond de la prime, favorisé par un éphémère retour des acheteurs, les orges abandonnent les plus hauts de campagne à 250 €/t pour s’afficher désormais autour des 237 €/t à Creil.

De meilleures perspectives en Europe pour le colza

Le colza Euronext continue d’évoluer entre 460 à 490 €/t sur l’échéance d'août, partagé entre des éléments fondamentaux mitigés et un contexte macroéconomique très volatil. Les conditions climatiques favorables en Europe permettent d’estimer un potentiel en hausse de 2 millions de tonnes par rapport à l’an passé, à plus de 19,5 millions de tonnes. L’Ukraine, en revanche, a été pénalisée par des gelées tardives, baissant son potentiel de production à seulement 3,2 millions de tonnes, au plus bas depuis 2020. Le Vieux Continent devra donc diversifier ses origines d’importation, avec des besoins attendus pour la prochaine campagne à 7,5 millions de tonnes.

Dans un contexte de ralentissement des flux physiques, la graine de colza Fob Moselle tente de maintenir le niveau des 485 €/t. La pression baissière des huiles, entraînée notamment pas la chute de l’huile de palme, pèse sur le complexe, dans un contexte macroéconomique particulièrement volatil. Entre annonces de nouveaux droits de douane entre les deux géants chinois et américain, et regain de tensions au Moyen-Orient, les matières premières affichent de grandes amplitudes de marché. Le pétrole WTI touche ainsi un plus haut depuis mars 2024 à 73,48 dollars par baril, après les attaques entre Iran et Israël.

En France, les récentes pluies ont été bénéfiques pour le colza, rassurant les opérateurs pour la campagne de 2025. Selon Argus Media, la production nationale pourrait atteindre environ 4,4 millions de tonnes cette année, au plus haut depuis 2022. Enfin, les regards se porteront sur les conditions de semis en Australie, en attente de précipitations.

La pression baissière se poursuit sur le soja

Les tourteaux de soja poursuivent leur tendance baissière en place depuis le début de la campagne pour maintenant s’afficher à 329 €/t délivrée Montoir. Le nouveau rebond de l’euro/dollar à 1,152 favorise les importateurs, qui profiteront de la bonne compétitivité des origines américaines et brésiliennes. La pression de la récolte brésilienne est en place, et les volumes de soja exportés du pays atteignent 63 millions de tonnes sur la période de février à mai, à comparer à 57,5 millions de tonnes il y a cinq ans.

Avec un record de 45 millions de tonnes restant à exporter, les acheteurs pourront profiter d’une bonne disponibilité avant l’arrivée des sojas américains de la nouvelle récolte dans trois mois. Aux États-Unis, les semis sont réalisés à hauteur de 90 % des surfaces avec des qualités qui s’affichent à 68 % de bonnes ou excellentes conditions.

Contrairement à l’usage à cette période de l’année, les sojas américains restent compétitifs face à l’origine brésilienne, ajoutant de la pression sur les prix. Le Vieux Continent profite de cette disponibilité mondiale, en attendant la renégociation prévue au début de juillet entre les États-Unis et l’Europe concernant les droits tarifaires. Avec un besoin estimé à 16 millions de tonnes d’importations de soja pour l’année prochaine, une attention particulière sera portée sur les éventuelles taxes vers le Vieux Continent. Dans l’attente de nouveaux éléments sur la scène géopolitique, le tourteau de soja poursuit sa tendance baissière dans un contexte de bilan confortable.

(1) Argus Media, société spécialisée dans le suivi des marchés des matières premières, nous livre son analyse agricole hebdomadaire.

À suivre : évolution de la parité de l'euro par rapport au dollar ; négociations entre l’Europe et les États-Unis sur les tarifs, évolution de la météo en Australie, début des moissons en mer Noire, Europe et en Amérique du Nord ; évolution de la position des fonds, tant à Chicago que sur Euronext.