La Bourse européenne de commerce des céréales, le 6 décembre 2024, a été l'occasion pour le cabinet Argus Media de présenter les éléments à suivre pour les prochains mois sur les marchés des céréales et olégineux.
Des risques baissiers pour les marchés nord-américains en soja et canola
Sur le marché des oléagineux, l’élection de Donald Trump fait craindre une nouvelle guerre commerciale avec la Chine, comme en 2018. « Des taxes sur les produits chinois importés aux États-Unis avaient été mises en place. En représailles, le gouvernement chinois avait appliqué des droits de douane supplémentaires sur les importations de produits américains, dont le soja », résume Maxence Devillers, analyste chez Argus Media.
Alors qu’un tiers des volumes américains de la graine oléagineuse est à destination de la Chine, ce scénario, s’il venait à se répéter, constituerait un élément de pression majeur pour le marché du soja. D’autant plus que ses fondamentaux sont « déjà lourds ». « La production est attendue record ou presque aux États-Unis et plus que record en Amérique du Sud si on combine le Brésil, l’Argentine et le Paraguay », explique l’analyste.
Par ailleurs, la Chine a annoncé qu’elle allait lancer une enquête antidumping sur le canola canadien, une apparente mesure de rétorsion face à la hausse des taxes douanières imposées par le gouvernement canadien sur l’importation de voitures électriques chinoises. « Si cette investigation va au bout, il y a de grandes chances que soit taxé à l’importation le canola canadien en Chine », anticipe Maxence Devillers. La perte du débouché chinois constituerait un élément de pression pour le canola canadien. « Cela reste très théorique, pour l’instant ce sont juste des annonces », insiste ce dernier.

Les oléagineux tiraillés entre manque d’huiles végétales et surplus de tourteaux de soja
En Europe, après une mauvaise récolte de tournesol, le marché est déficitaire en huiles végétales. Les acheteurs européens d’huiles alimentaires (palme, colza ou tournesol) doivent se tourner vers l’importation. Or, les prix de l’huile de palme ont bondi, en lien avec une baisse production et une forte demande.
« L’augmentation des prix des huiles végétales est un élément haussier pour tout le complexe oléagineux, informe Maxence Devillers. Face à cela, les tourteaux de soja sont toutefois peu chers, avec les productions records en Amérique du Sud, ce qui fait pression sur les marchés mondiaux. »
Reste à surveiller le rationnement de la demande en huiles végétales sur la deuxième partie de campagne. « Si elle est effectivement rationnée, ce sera un élément rassurant pour le marché. Dans le cas contraire, ce sera un élément de soutien », rapporte l’expert.
Le maïs soutenu par les bilans tendus des grands exportateurs et la demande en éthanol
Ukraine, Brésil, Argentine… Le bilan en maïs est tendu chez les grands exportateurs qui voient leur disponible exportable diminuer. Les États-Unis, dont la production de maïs est record, font exception. Les acheteurs se tournent donc vers cette origine. « Le marché américain, initialement prévu pour être lourd avec d’importants stocks, se retrouve finalement à prendre beaucoup de parts de marché », note Maxence Devillers. Si bien que le bilan en maïs des États-Unis se tend progressivement.
Dans son dernier rapport publié le 10 décembre 2024, l’USDA (ministère américain de l’Agriculture) a ainsi revu à la baisse ses estimations de stocks de fin de campagne aux États-Unis. Les prix du maïs à la Bourse de Chicago, qui jusqu’alors ne tenaient pas compte de la situation chez les autres grands exportateurs, selon Argus Media, ont réagi à la hausse après la publication du rapport. « On estime que les prix américains seront encore soutenus à l’avenir », ajoute l’analyste.
Par ailleurs, le Brésil et l’Inde, deux grands consommateurs de carburant, prennent des mesures pour y incorporer de l’éthanol, produit à partir de canne à sucre ou de maïs. « Le Brésil a exporté moins de maïs pour répondre à la demande locale en éthanol, qui a augmenté de 10 millions de tonnes en l’espace de cinq années à peine », rapporte Maxence Devillers. Pour lui, la demande de maïs en Inde, qui en produit mais n’est pas excédentaire, pourrait être en hausse de 7 millions de tonnes d’ici à deux ou trois ans.
« La demande pour l’éthanol en Inde et au Brésil, et les problèmes de production chez les grands exportateurs sauf aux États-Unis feront le marché du maïs pendant la seconde partie de campagne, prévoit ce dernier. Les futures productions en Amérique du Sud doivent toutefois encore être confirmées : les semis en Argentine et au Brésil sont à peine terminés. Tout problème de production sera un élément de soutien supplémentaire. »
Inquiétudes sur la production de blé en Russie
La deuxième partie de campagne s’annonce mouvementée pour le blé. Les productions sont en baisse un peu partout dans le monde, en particulier en Europe et en mer Noire, et les volumes disponibles à l’exportation sont moindres. En parallèle, le rythme des exportations en début de campagne s’est révélé plus soutenu qu’attendu.
« Cela signifie que les volumes disponibles jusqu’à la fin de la campagne seront bien moins importants que les deux dernières campagnes. Un rationnement de la demande sera observé, ce qui laisse peu de place à un regain de demande entre janvier et juin 2025 », explique l’analyste. Cet élément est, selon lui, en partie intégré par le marché.
En conséquence, les stocks des principaux exportateurs de blé seront limités au début de la nouvelle campagne de 2025-2026. Cela suscite des craintes. « Au vu des surfaces en France et en Europe de l’Ouest globalement, la production européenne à l’heure actuelle n’est pas prévue pour revenir à des niveaux habituels, expose-t-il. Dans le même temps, les conditions de semis et de développement en Russie ont été plutôt défavorables aux cultures. »
Argus Media estime la production russe de 2025 à 81,5 millions de tonnes, au même niveau que celle de 2024 (81,3 millions de tonnes), qui était déjà en recul par rapport aux dernières campagnes. « Il y a un risque important que la production soit en deçà, en fonction de comment se dérouleront l’hiver et le printemps : y aura-t-il des gelées ? Suffisamment de neige pour protéger les blés ? Nous ne sommes pas très optimistes pour la Russie, et s’agissant du principal exportateur de blé, cela ne manquera pas de faire bouger les lignes du marché. »
L’appétit chinois diminue
Argus Media anticipe un repli des importations de céréales (blé, maïs, orge et sorgho) en Chine de près de la moitié entre les campagnes de 2023-2024 et de 2024-2025, passant d’environ 60 millions de tonnes à 30 millions de tonnes. « La production chinoise est bonne sur toutes les céréales. Par ailleurs, l’économie chinoise va mal depuis près d’un an. Les signaux à l’heure actuelle se dégradent bien plus fortement qu’anticipé », explique Maxence Devillers.
La demande en céréales est liée à la santé financière en berne de la Chine, ce qui a pour conséquence de limiter les importations. « D’autres pays, notamment l’Inde, pourraient prendre le relais, ce qui compensera en partie la baisse des importations chinoises », estime-t-il.