Malgré un récent relèvement des prix des céréales sur le marché européen, la concurrence ukrainienne et russe pèse toujours très fortement, appelant à rester vigilant. C’est ce qu’a souligné Clémence Lenoir, chargée d’études économiques grandes cultures, lors de la conférence mensuelle de FranceAgriMer, le 13 mars 2024.

Au niveau des cours mondiaux, même si le blé français est globalement compétitif, il reste, en termes de prix, hors de portée des origines Mer Noire : « on se situe à 209 dollars la tonne Fob Rouen contre 199 pour le Russe et 171 pour l’Ukrainien », précise Marc Zribi, chef de l’unité grains et sucre de FranceAgriMer.

Exportations dynamiques

Les exportations de céréales ukrainiennes et russes, particulièrement en blé, restent dynamiques sur la campagne 2023-2024. En Ukraine, elles sont estimées à 14,3 millions de tonnes, pour une production de 21,4 millions de tonnes (1). « 11,7 millions de tonnes ont déjà été exportées, laissant 2,6 millions de tonnes pour le reste de la campagne, signale Marc Zribi. Ces exportations sont en forte progression, que ce soit par rapport à la moyenne quinquennale ou aux valeurs minimales et maximales historiquement enregistrées », ajoute-t-il.

En maïs, la situation est un peu différente, avec un rythme d’exportation ralenti : 15 millions de tonnes ont été réalisées à ce jour sur les 23 millions de tonnes prévues. « Ce rythme d’exportation s’inscrit dans le bas des comparaisons, même s’il reste supérieur à 2 millions de tonnes par mois », précise l’expert.

En ce qui concerne la Russie, la production de blé est estimée autour de 91,5 millions de tonnes par l’USDA et à 90 millions de tonnes par UkrAgroConsult. Les exportations sont prévues à 51 millions de tonnes par le ministère de l’agriculture américain, contre 47 millions de tonnes l'an passé.

« Sur ses 51 millions de tonnes, 32 ont déjà été exportés, ce qui est un rythme soutenu par rapport à la moyenne 5 ans et l’historique des valeurs minimales et maximales », précise Marc Zribi. En maïs, la production et les exportations sur 2023-2024 sont revues en baisse par rapport à la campagne précédente, à 15,5 et 4,8 millions de tonnes respectivement, contre 15,9 et 6,4 millions de tonnes.

L’Ukraine, numéro 1 des origines

Au niveau européen, FranceAgriMer estime une progression des importations de blé tendre de 7,1 % d’un mois sur l’autre, à 7,5 millions de tonnes. En date du 3 mars 2024, l’Ukraine représente près de 69 % (4,4 millions de tonnes) des origines importées, soit près de 4 points de plus que la campagne passée. En maïs à l’inverse, l’institut a revu à la baisse les importations, à 17,5 millions de tonnes contre 19 millions de tonnes le mois précédent, en lien avec un ajustement à la hausse de la récolte. Sur les volumes importés au 3 mars 2024, la première origine reste l’Ukraine, à hauteur de près de 65 %.

En termes d’impact sur le marché français, « ce qui rentre précisément en France est en réalité marginal par rapport à ce qui rentre dans l’Union Européenne », précise Adèle Dridi, chargée d’études économiques sur les céréales françaises. Les conséquences sont indirectes, avec par exemple une baisse des exportations françaises vers les pays de l’Union européenne, notamment vers l’Espagne qui achète dorénavant davantage de céréales ukrainiennes.

Une concurrence « infernale »

« Quand on voit tous ces chiffres, et d’un autre côté le renouvellement de la levée des droits de douane sur les importations de grains ukrainiens, nous ressentons beaucoup d’agacement et d’irritation », a commenté Benoit Piètrement, président du conseil spécialisé “Grandes cultures” de FranceAgriMer.

« Bien que les cours soient bas au niveau mondial, on continue de déstabiliser nos propres marchés au niveau européen. Cette situation nous met dans une concurrence infernale, avec des prix ukrainiens extrêmement bas. Le sentiment qui prévaut est que les agriculteurs sont en train de payer la facture de la guerre en Ukraine. Cela ne veut pas dire qu’on ne veut pas soutenir l’Ukraine, mais nous ne devons pas être les seuls à payer » a-t-il ajouté.

« La demande a été faite auprès des services de la DGPE (2) de continuer à remonter ces données et notre mécontentement auprès de l’Union européenne, pour continuer à faire pression », a-t-il conclu.

(1) L’inclusion ou non des territoires occupés par la Russie varie selon les sources. Ainsi, le CIC inclut dans ses chiffres les territoires occupés et exclut la Crimée. Les statistiques ukrainiennes officielles ne prennent pas en compte la Crimée ni les territoires occupés. L’USDA quant à lui prend en compte la Crimée. « Il y a donc des écarts sur les estimations de production, qui se répercutent sur celles des exportations », indique Marc Zribi.

(2) Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises