L’histoire
Paul et son épouse avaient consacré leur vie à la mise en valeur d’un élevage laitier dans l’aire de l’appellation Comté. Décédés respectivement les 2 novembre 2012 et 13 mars 2015, ils ont laissé pour leur succéder leurs enfants Pierre, Lucile et Jacques. Lors des opérations de liquidation et de partage des successions confondues mises en œuvre devant le notaire de la famille, des difficultés étaient survenues concernant, notamment, une demande de salaire différé formulée par Lucile.
Le contentieux
En l’absence d’accord, Lucile avait assigné ses deux frères devant le tribunal judiciaire en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de leurs parents et elle avait fait valoir sa créance de salaire différé. Elle avait invoqué l’article L.321-13 du code rural. Selon ce texte, les descendants d’un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l’exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d’un contrat de travail à salaire différé.
Aussi, comment ses frères pouvaient-ils s’opposer à sa demande alors qu’elle avait bien travaillé sur l’exploitation de ses parents entre le 14 novembre 1979 et le 17 juillet 1983 ? Ceci devait lui permettre de bénéficier d’une créance de salaire différé liquidée sur la base d’un calcul retenant quarante mois et trois jours.
« Ses frères s’étaient opposés à sa demande de salaire différé »
Pour autant, Pierre et Jacques avaient invoqué une jurisprudence bien établie. Le descendant qui a participé partiellement à l’exploitation ne peut bénéficier que d’une créance partielle. Or, une attestation de l’assurance retraite établissait que durant la période considérée, Lucile avait exercé des activités professionnelles extérieures à l’exploitation agricole. Aussi, pour Pierre et Jacques la demande de leur sœur ne pouvait prospérer en l’état. Mais ils n’avaient pas été suivis par les juges. Quatre attestations, qui apportaient des témoignages précis sur les travaux effectués, confirmaient la participation effective de Lucile à l’exploitation.
Pierre et Jacques se sont pourvus en cassation et la haute juridiction ne pouvait revenir sur sa jurisprudence. Aussi a-t-elle cassé l’arrêt d’appel. Dès lors qu’elle avait relevé qu’il ressortait d’une attestation de l’assurance retraite qu’au cours de la période considérée Lucile avait été, soit partiellement en activité soit sans emploi, la cour d’appel aurait dû en tirer les conséquences par la reconnaissance, au profit de Lucile, d’une créance seulement partielle.
L’épilogue
La cour de renvoi devra déterminer, au vu des attestations produites, la participation réelle et effective de Lucile aux travaux de l’exploitation familiale afin d’apprécier le pourcentage du plafond légal qui devra lui être appliqué.