L’histoire. Joseph, propriétaire de la ferme des Accoules, voulait s’en débarrasser. Paul, son fermier, souhaitait l’acquérir en faisant jouer son droit de préemption, et il était prêt à en payer le prix. La somme à tirer de la vente était importante, mais Joseph ne voulait pas que Paul exerce la préemption. Il redoutait surtout les difficultés fiscales… Il a donc fait une donation de la nue-propriété à son cousin Pascal, lui-même en conservant l’usufruit. L’acte de donation a été signé. Le fermier ne pouvait pas tolérer ce montage. Il s’est indigné et, dans ces conditions, a saisi le tribunal paritaire aux fins d’annulation de la donation destinée à bafouer son droit de préemption. Problème : le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de l’annulation d’un acte authentique portant sur des biens immobiliers.
Contentieux. Paul le fermier a formulé appel pour revenir sur cette question de compétence. Comment a réagi la cour ? Pour soutenir l’action de son client, l’avocat a rappelé le texte du code rural : « Le tribunal paritaire a compétence exclusive des contestations dans un contentieux entre bailleur et preneur ». Mais ses espérances se sont effacées : la cour d’appel a estimé que la juridiction des baux ruraux n’était pas compétente. Le propriétaire a donc assigné devant le tribunal de grande instance pour voir valider la donation.
Le fermier ne s’est pas « couché » et il a saisi la Cour de cassation qui a rendu un arrêt de principe : « En statuant ainsi, alors que le tribunal paritaire des baux ruraux a compétence exclusive pour connaître des contestations entre bailleurs et preneurs de baux ruraux relatives aux titres Ier à VI et VIII du livre IV du code rural, dont fait partie le droit de préemption du preneur, et alors que le litige concernait la méconnaissance d’un tel droit, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Il en résulte que la compétence du tribunal paritaire a finalement été reconnue, et le tribunal de grande instance déclaré incompétent. Il est certain que cette décision peut étonner, mais ainsi est la loi. En tout cas, le problème reste délicat : Joseph a donné à un de ses parents un bien qu’il comptait vendre et donc, en l’état de cet arrêt, Paul le fermier est en droit de faire annuler la donation pour mettre en route une procédure de préemption.
Épilogue. Par l’arrêt pris par la Cour de cassation, sans préjuger de l’arrêt de la cour de renvoi, il est à redouter que des conflits judiciaires s’engagent. Le tribunal paritaire sera-t-il en mesure de faire face à tous ces contentieux ? Il ne sera pas non plus sans difficultés de faire admettre à des notaires que c’est la juridiction des baux ruraux qui doit annuler un acte notarié… Je suis toutefois persuadé que beaucoup de litiges semblables resteront dans l’orbite des tribunaux de grande instance. Dans la présente affaire, le tribunal paritaire a été trop timide : comme il en avait compétence, il aurait pu annuler la donation, quitte à demander aux parties, notamment au propriétaire qui voulait vraiment vendre, de faire les notifications prévues à l’article L. 412-8 du code rural. Sauf à renoncer à la vente…