L’HISTOIRE. Biens de famille et sociétés ne font pas toujours bon ménage : qu’on en juge ! Loïc mettait en valeur, depuis de nombreuses années, des parcelles de polyculture que lui louait Jacques, son oncle. Elles étaient de très bonne qualité et lui offraient une vue magnifique sur la Manche. Il se délectait chaque jour de l’idée de les exploiter jusqu’à l’heure de sa retraite. Mais après plusieurs années, son oncle avait délivré congé à Loïc, en vue d’installer sa fille, Clémence, dans le cadre d’une EARL familiale. Mécontent, Loïc avait contesté la validité du congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux. L’EARL, bénéficiaire de la mise à disposition des biens loués, n’avait pas demandé une autorisation d’exploiter.

LE CONTENTIEUX. Pour son bailleur, une telle autorisation n’était pas nécessaire. La société était familiale, exclusivement constituée entre lui et sa fille. Par ailleurs, cette dernière, puisque les biens étaient des biens de famille, aurait pu bénéficier du régime dérogatoire et simplifié de la déclaration préalable, si elle avait envisagé de les exploiter à titre personnel. La question était de savoir si la société familiale devait justifier d’une autorisation, alors que la reprise, qui portait sur des biens de famille, était soumise au régime dérogatoire de la simple déclaration, du ressort de la fille de Jacques.

Sur la base de l’article L. 411-58 du code rural, Loïc avait invoqué un argument juridique qui paraissait imparable. Cet article précise que lorsque les terres sont destinées à être exploitées dès leur reprise dans le cadre d’une société, et si l’opération est soumise à autorisation, celle-ci doit être obtenue par la société. Par ailleurs, la jurisprudence avait confirmé qu’une reprise portant sur des biens de famille ne dispensait pas la société de se soumettre à la réglementation sur le contrôle des structures.

En l’espèce, les juges de la cour d’appel ont maintenu la même ligne. L’article L. 331-2-II du code rural, instituant un régime simplifié de déclaration préalable au bénéfice des biens dits « de famille », ne prévoit pas de dérogation à l’article L. 411-58 du même code. Il n’y a alors pas lieu d’exclure les sociétés à caractère familial de l’obligation, prescrite par ce texte, d’obtenir une autorisation d’exploiter.

Le congé délivré par Jacques a donc été annulé, faute pour l’EARL de justifier d’une autorisation. La Cour de cassation a ensuite confirmé cette position en rejetant le pourvoi de Jacques.

L’ÉPILOGUE. Loïc pourra rester en place et bénéficier du renouvellement de son bail, à moins que l’EARL de Jacques et Clémence sollicite et obtienne une autorisation d’exploiter.