L’histoire
En 1998, ayant hérité de ses parents d’une ferme, Éric l’avait apportée à une société civile d’exploitation agricole constituée entre son épouse et ses deux enfants, Yves et Anne. Il en avait été nommé gérant statutaire. À la suite de difficultés de trésorerie, Éric avait procédé, pour le compte de la société, à la vente de certains bâtiments inutilisés. Mais l’opération avait donné lieu à un redressement que l’administration fiscale avait notifié aux deux enfants associés. Ces derniers avaient contesté le redressement devant le tribunal administratif et assigné Éric en révocation de ses fonctions de gérant.
Le contentieux
Yves et Anne avaient invoqué l’article 1851 du code civil, selon lequel le gérant d’une société civile est révocable par les tribunaux pour cause légitime à la demande de tout associé. Or, les causes légitimes de révocation d’Éric étaient multiples, selon eux. D’une part, il avait pris des décisions contraires à l’objet social ayant donné lieu à un redressement fiscal. D’autre part, il avait été défaillant dans l’obligation de rendre compte de sa gestion aux associés et de présenter le rapport annuel visé à l’article 1856 du code civil. Enfin, ils avaient mentionné qu’un différend relationnel existait entre eux et leur père.
Mais comment Éric, gérant depuis plus de vingt ans, pouvait-il être écarté de la gestion par ses enfants ? Il ne pouvait accepter leur décision. La mésentente invoquée était, selon lui, liée à la procédure de divorce que son épouse avait engagée, qui était sans incidence sur la gestion de la société. Par ailleurs, il avait précisé que le redressement fiscal n’était pas encore définitif, dans la mesure où il avait fait appel du jugement rendu par le tribunal administratif.
Les juges lui avaient donné raison. Le grief de ne pas avoir rendu compte annuellement de sa gestion devait être analysé au regard de la situation particulière d’une société familiale, créée près de vingt ans avant l’introduction par son épouse de la procédure de divorce. De plus, les associés n’avaient pas régulièrement demandé à Éric de déposer chaque année le rapport exigé par la loi.
Cette motivation a été censurée par la Cour de cassation, saisie par Yves et Anne. Nonobstant le caractère familial de la société et l’absence de demande de rapport émanant des associés, qui importaient peu, le gérant ne pouvait être exonéré de l’obligation, visée par le code civil et les statuts de la SCI, de rendre compte de sa gestion aux associés au moins une fois dans l’année. Aussi, la cour d’appel ne pouvait écarter la cause légitime de révocation invoquée par Yves et Anne.
L’épilogue
La cour de renvoi devra se pencher sur les conséquences du manquement d’Éric. Il n’en demeure pas moins que la décision est sévère. D’une part, l’absence de reddition des comptes n’est pas spécialement sanctionnée par le code civil. D’autre part, nombreuses sont les sociétés familiales, GFA ou SCEA, qui ont pour seule activité la mise en valeur des terres dont elles sont détentrices, ce qui ne justifie pas la rédaction, chaque année, d’un rapport spécifique.