L’HISTOIRE. Il y a parfois des cadeaux empoisonnés, même lorsqu’ils sont reçus en héritage. Jean, le grand-père d’Hélène, avait créé avec son épouse et un petit-fils un groupement foncier agricole (GFA), afin de maintenir l’unité du domaine familial. Au décès de Jean, Hélène était devenue membre du GFA par l’effet de la dévolution successorale des parts sociales. Rapidement, les relations avec le gérant et les autres associés se sont dégradées, paralysant le fonctionnement courant du groupement. Aussi, Hélène a-t-elle saisi le tribunal de grande instance, en vue de se retirer du GFA et d’obtenir sa dissolution.

 

LE CONTENTIEUX. Hélène soulevait une vraie question de droit : son action ne se heurtait-elle pas à un obstacle majeur tiré de l’article L. 322-23 du code rural ? Ce texte prévoit, en effet, que « les associés d’un GFA peuvent, sans préjudice des droits des tiers, se retirer de la société dans les conditions prévues par les statuts. À défaut, le retrait ne peut être autorisé que par une décision unanime des associés ». En restreignant la possibilité pour un associé de se retirer d’un GFA, ce dispositif vise à éviter le démembrement des propriétés rurales familiales et à favoriser leur transmission sur plusieurs générations.

Pour s’opposer à la demande d’Hélène, le gérant du GFA avait fait valoir que les statuts étaient muets sur les conditions du retrait d’un associé et aucune décision unanime des associés n’avait été prise sur ce point. Le juge ne pouvait donc intervenir et la demande d’Hélène était irrecevable. Pourtant, cette interdiction faite à un héritier de se retirer d’un GFA sans l’autorisation de celui avec lequel il ne veut pas être associé, ne portait-elle pas une atteinte disproportionnée à son droit de propriété ? Pour répondre à la question et accueillir la demande d’Hélène, les juges avaient fait appel à l’article 1869 du code civil, qui prévoit que « le retrait peut être autorisé pour de justes motifs par une décision de justice ».

Devant la Cour de cassation, le débat avait été placé sur le terrain du droit européen. L’avocat d’Hélène avait, en effet, invoqué l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le principe de l’accès à un juge. La Cour suprême a rejeté le pourvoi formulé par le GFA : elle a retenu que « si ce texte permet à l’État de limiter le droit d’accès à un tribunal dans un but légitime, c’est à la condition que ce droit ne soit pas atteint dans sa substance ». Or, l’absence de retrait judiciaire prévue par l’article L. 322-23 du code rural porte atteinte au droit fondamental d’accès au juge. Aussi, Hélène devait-elle pouvoir solliciter judiciairement son retrait, malgré les dispositions restrictives de ce texte.

 

L’ÉPILOGUE. Lorsqu’il est saisi d’une telle demande, le juge doit opérer un contrôle de proportionnalité entre l’objectif poursuivi par la limitation légale du droit de retrait et le respect du droit de propriété de l’associé qui se retire. Aussi, pour ne pas soumettre la faculté de retrait au pouvoir du juge, les statuts devront en régler minutieusement la mise en œuvre.