L’histoire
Au décès de leurs parents, Estelle, Charles et Mireille avaient reçu la propriété d’un beau terrain constructible, planté d’oliviers au pied du mont Ventoux. Il était contigu au lotissement communal où était implanté le cabanon de Guy, exploitant agricole. En vue d’obtenir un permis de construire, Estelle et Charles avaient souhaité borner le terrain. Mais Mireille, qui ne souhaitait pas implanter une construction près du cabanon, avait refusé le bornage.
Le contentieux
Estelle et Charles avaient assigné Mireille et Guy en bornage des propriétés respectives devant le tribunal d’instance. Ils s’étaient prévalus de l’article 646 du code civil, qui précise : « Tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. » Or, les limites du terrain en indivision et celles du fonds de Guy étaient imprécises, en raison de la végétation abondante qui avait envahi la petite clôture. De plus, le dossier de demande de permis de construire exigeait un plan de bornage dressé par un géomètre expert. Selon Estelle et Charles, la demande était bien fondée et le tribunal devait l’accueillir.
Mais Mireille, qui entendait s’opposer au bornage, qu’elle estimait inutile, avait invoqué un argument de procédure. Elle s’était procuré un arrêt de la Cour de cassation, rendu au visa de l’ancien article 815-3 du code civil, qui avait posé en principe qu’une action en bornage entre dans la catégorie des actes d’administration et de disposition. Le consentement de tous les indivisaires devait dès lors être requis. Puisqu’elle s’opposait à la délimitation du terrain en indivision, la demande d’Estelle et Charles était bien irrecevable, selon Mireille.
Le tribunal d’instance et la cour d’appel avaient accueilli la fin de non-recevoir soulevée par celle-ci. L’action en bornage constitue à la fois un acte d’administration et de disposition, qui ne correspond pas à la vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision, prévue à l’article 815-3 du code civil. Aussi, l’unanimité des indivisaires était-elle requise, une condition qui n’était pas remplie en l’espèce, en raison de l’opposition de Mireille. La demande de bornage d’Estelle et Charles était alors bien irrecevable, selon les juges.
Mais c’était ignorer la loi du 23 juin 2006 réformant le droit des successions, qui a assoupli les règles de gestion des biens indivis, selon la Cour de cassation. Elle a censuré la cour d’appel et a rappelé l’article 815-3 1° du code civil. Ce texte indique que « le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité, effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis ». Ainsi, dans la mesure où Charles et Estelle disposaient de la majorité des deux tiers au moins des droits indivis requis pour l’exercice de l’action en bornage, leur demande était bien recevable.
L’épilogue
Devant la cour de renvoi, Charles et Estelle pourront faire désigner un géomètre expert, en vue de délimiter le terrain indivis et d’implanter les bornes, démarche préalable à la demande de permis de construire. Et Mireille devra, alors, participer aux frais.