"Les stratégies d'adaptation au changement climatique doivent mobiliser différents leviers dont la génétique, mais elle ne réglera pas tous les problèmes", a indiqué Jean-Pierre Cohan, responsable du département de physiologie des cultures, biotechnologies et phénotypage des cultures chez Arvalis. Il intervenait au colloque "La création variétale au service de la ferme 2030" organisé le 2 février 2023 par la section des céréales à paille de Semae (interprofession semencière) et l'AGPB (Association générale des producteurs de blé). "La génétique est un levier qui a fait ses preuves pour maintenir le rendement, il a encore du potentiel qu'il faut exploiter", a renchéri Marin Desprez, directeur de la stratégie au groupe Florimond Desprez. Tout en nuançant : "C'est un outil parmi d'autres, mais il n'y a pas de variétés miracles."

Technologie récente

À la question qui lui était posé sur les nouvelles techniques de sélection génomique (NBT), à savoir : "Sont-elles l'avenir de la création variétale ?", Marin Desprez s'est montré prudent : "L'édition du génome est une technologie récente, intéressante au stade de recherche. Il faut être humble et modéré sur ce qu'elles peuvent nous apporter. Ce dont on peut être sûr, c'est que ce n'est pas une baguette magique : il ne faut pas s'imaginer qu'on va prendre n'importe quelle variété élite et qu'on va la transformer en une variété résistante au changement climatique."

Privatisation du vivant

La réglementation de ces NBT en est train d'être définie au niveau européen. "Mais il ne faut pas que ce soit le cheval de Troie de la privatisation du vivant, insiste Marin Desprez. Aujourd'hui, il y a un risque économique que ces technologies réduisent l'indépendance des agriculteurs et un risque réglementaire qui feraient que ces technologies s'accompagnent de la mise en place de brevets qui seraient injustifiés et qui seraient une menace pour les entreprises françaises. Car l'accès à ces technologies n'est pas facile. Aujourd'hui, ce qui protège ces variétés, c'est le droit d'obtention végétale. L'activité foisonnante autour des NBT, c'est plutôt des dépôts de brevets, qui sont une menace pour les entreprises semencières moyennes et petites et pour les agriculteurs."

Un propos sur lequel se trouve "très en phase" Laurent Guerreiro, président de RAGT2n. Pour répondre à la nouvelle Pac et aux nouvelles législations, "si la seule réponse c'est l'édition du génome, on n'est pas bien du tout ! Car ce sont des techniques relativement balbutiantes dans leurs applications concrètes. Elles marchent avec efficacité à partir du moment où vous savez précisément la cible que vous voulez travailler. Et aujourd'hui, nous n'avons pas encore une connaissance suffisante du génome du blé pour pouvoir obtenir tout le potentiel de cette technologie, et venir faire des éditions qui vont changer des critères multigéniques comme l'adaptation aux stress environnementaux. Il se passera encore du temps pour y arriver." Selon lui, l'enjeu immédiat est aussi de revenir de plus en plus à l'agronomie.

Important coût d'accès

"Ce qu'on a complètement éludé dans ce débat sur les NBT, c'est le coût d'accès, poursuit Laurent Guerreiro. Il y a des brevets derrière ces technologies, elles ne sont pas gratuitement accessibles et aujourd'hui pour ces brevets, le coût d'accès se porte à des millions d'euros. Sans parler des royalties à payer sur les produits issus de ces technologies. Si on met en œuvre ces technologies, soit le blé coûte trois fois plus cher, soit elles devront se démocratiser un peu plus. Aujourd'hui, cela reste un outil phénoménal sur sa potentialité car il permet de sélectionner beaucoup plus rapidement plus de caractères d'intérêts. Mais avant d'arriver à cette étape, il ne faut pas mentir, ça n'arrivera pas demain matin !"