Plusieurs scientifiques ont été auditionnés par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques le 20 février 2025 au Sénat. L’objectif était d’éclairer députés et sénateurs sur ce que la science peut apporter à l’agriculture face au réchauffement climatique et à la perte de biodiversité. Les solutions n’ont jamais été aussi nombreuses pour relever ces défis avec des impacts directs sur l’environnement et la santé humaine. Mais quand et à quel coût ces innovations seront-elles réellement disponibles à grande échelle pour les agriculteurs ?

Des solutions olfactives sont par exemple mises au point en France pour repousser les insectes ravageurs des cultures. « En trois ans, on a identifié les odeurs ayant un effet répulsif sur les pucerons », souligne notamment Ené Leppik, fondatrice d’Agriodor. Cette solution mise en place avec l’Inrae permettrait de réduire d’au moins 50 % la population de pucerons sur les betteraves. « Ce type d’innovation, sélectif, préventif et qui ne crée pas de résistance, pourrait être appliqué à 70 % des ravageurs qui sont sensibles au paysage olfactif », affirme la scientifique.

Trouver des alternatives aux insecticides

« Ces solutions sont étudiées dans les plans stratégiques d’État partout dans le monde pour trouver des alternatives » aux insecticides confrontés de plus en plus à des problèmes de résistance. « J’ai vu comment cela avance aux États-Unis, au Brésil et en Chine. C’est né en France mais les jeunes entreprises partent là-bas », se désole Ené Leppik, déplorant les freins de développement liés notamment à la réglementation, avec un dossier à réaliser par État européen, une étude écotoxicologique longue et coûteuse…

« Le coût est crucial », rappelle-t-elle, avec autre exemple à l’appui en colza. « Pour se protéger de la grosse altise, nous avons identifié une solution scientifique. Mais avec les dépenses en homologation et en développement pour un produit, l’innovation est trop chère », face « au manque de valeur ajoutée sur cette culture », et à l’absence de marché au-delà de la France.

L’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques ici représenté par Daniel Salmon, sénateur, Pierre Henriet, député, et Stéphane Piednoir, sénateur (de gauche à droite). (©  Capture d'écran Sénat)

Le microbiote améliore la santé des plantes

S’agissant du microbiote, les connaissances ont aussi fortement progressé depuis une quinzaine d’années. Et son rôle dans la santé des plantes ne fait plus de doute chez les scientifiques. « Des chercheurs ont mis au point un cocktail prébiotique pour faire barrière à Ralstonia solanacearum, responsable du flétrissement de la tomate », relate Corinne Vacher, directrice de recherches à l'Inrae, soulignant des impacts positifs variés. Le microbiote présent dans le sol ou dans les plantes jouerait ainsi sur la tolérance au stress hydrique ou sur l’amélioration de la nutrition. Selon elle, la diversité microbienne est une ressource clé pour l’agriculture durable.

Et si elle peut rapidement être améliorée par la diversité végétale dans les parcelles — par la mise en place de couverts végétaux par exemple —, il faudra encore du temps pour qu’elle soit bien valorisée « dans des systèmes agricoles reconçus avec plus de prophylaxie et d’épidémiosurveillance ». Du temps, et de l’argent, qui sont nécessaires pour faire de la sélection variétale en lien avec le microbiote, améliorer l’efficacité des produits de biocontrôle ou avancer sur la réglementation.

Émissions de méthane et génomique

Dans un autre domaine de recherche, la génomique est aujourd’hui un puissant outil pour sélectionner les animaux. Pour Didier Boichard, outre la nécessité « de bien anticiper comment seront les bovins de demain », cette vision doit être « partagée par un ensemble d’acteurs ». « La sélection est beaucoup plus vertueuse qu’elle ne l’a été », notamment car avec la génomique, « il est possible de faire de la sélection sur l’ensemble des caractères sélectionnés », ce qui représente entre vingt et vingt-cinq caractères selon les races. Ainsi, « on a restauré des niveaux de fertilité et de résistance aux mammites qu’on avait perdus par la sélection avant », souligne-t-il.

L'Inrae continue de jouer un rôle central dans la sélection bovine. Pour autant, « les entreprises restent maîtres dans la sélection qu’elles pratiquent ». À noter concernant le méthane, que « tous les outils existent pour obtenir une réduction des émissions par les bovins à long terme » : de façon directe à partir de marqueurs dans le lait, mais aussi par une sélection indirecte sur des caractères qui ont un effet sur les émissions, telles que la longévité des animaux, la précocité ou leur format. Cependant, pour que les animaux soient sélectionnés sur ce caractère, « il faut absolument une politique incitative », selon Didier Boichard.

« Le coût du changement »

« Le coût du changement grossit d’années en années. Il représente un effort immense », qui n’est pas que financier mais aussi « cognitif » en lien avec « la façon d’agir et de penser depuis le début du XXe siècle », explique Marie-Benoît Magrini, économiste à l'Inrae. 

« À partir des choix politiques faits dans les années 1940-1950, des mécanismes de marché ont été adoptés, assortis de nouveaux choix techniques qui ont conduit à un verrouillage socio-économique. Il a fallu un siècle pour consolider les choix techniques actuels. Il faudra du temps pour consolider de nouveaux choix », affirme-t-elle encore.

« Il y a une forme de pari au début en attendant d’atteindre les coûts marginaux » nécessaires au développement des innovations. Et l’État a un rôle certain à jouer dans le fonctionnement de ces marchés, ont entendu les sénateurs et députés lors de cette audition.