La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a publié les travaux d’une mission d’information en charge des problématiques économiques de l’abattage dans le contexte de réduction des cheptels. Une trentaine d’acteurs ont été auditionnés par les corapporteurs, Thierry Benoît (Horizons) et Christophe Barthès (Rassemblement national), entre octobre 2024 et avril 2025. Les députés ont aussi organisé plusieurs déplacements, notamment sur des sites appartenant aux groupes Bigard ou LDC.

30 % d’élevages en moins entre 2010 et 2020

Présenté le 28 mai 2025, le rapport des parlementaires fait le constat d’une décapitalisation des cheptels français amorcée depuis plusieurs décennies. Entre 2010 et 2020, le nombre d’exploitations d’élevage a diminué de 30 %, une évolution particulièrement marquée dans les filières bovines, ovines et porcines.

Le cheptel bovin français, le premier en Europe, a perdu 2,5 millions de têtes entre 2017 et 2024. La filière porcine a enregistré une chute de 16 % du nombre de truies reproductrices sur la dernière décennie. Quant aux effectifs ovins, ils ont dévissé de 33 % entre 2000 et 2023.

Ces dynamiques s’expliquent par une combinaison de facteurs économiques (faible rentabilité, hausse des coûts), démographiques (vieillissement des éleveurs, difficultés de transmission), réglementaires et sanitaires (épizooties, évolution des normes environnementales). Les parlementaires soulignent également une évolution des aspirations des nouvelles générations d’agriculteurs, avec un intérêt accru pour les modèles de polyculture-élevage ou les circuits courts.

Reconfiguration de l’abattage

La baisse des cheptels a mécaniquement des répercussions sur les abattoirs. Le rapport souligne la diminution continue de leur nombre, passant de 767 en 1980 à 286 en 2010, puis 230 en 2024. La tendance s’est même intensifiée récemment, avec un abattoir fermant chaque mois entre septembre 2023 et février 2024.

Le recul est particulièrement marqué dans les structures publiques et de petite taille. Cette évolution s’accompagne d’une concentration croissante du secteur : selon la DGCCRF, plus de 90 % du tonnage abattu en France l’est désormais dans des structures privées, le plus souvent détenues par quelques grands groupes.

Les parlementaires notent que si la spécialisation et la rationalisation des outils permettent des économies d’échelle, elles posent également la question du maintien d’un maillage territorial. Certaines zones, notamment rurales ou montagneuses, peuvent rencontrer des difficultés d’accès à l’abattage, ce qui impacte les circuits courts ou les petites exploitations.

Coûts, normes et compétitivité

Les coûts de production des abattoirs sont en hausse, du fait de l’augmentation des prix de l’énergie, de l’eau et de la main-d’œuvre. Dans un contexte de forte régulation sanitaire, ces entreprises doivent également faire face à une pression concurrentielle à l’échelle européenne. Le rapport évoque notamment les différences de mise en œuvre des normes sanitaires selon les États membres, qui peuvent induire des distorsions de concurrence. Par ailleurs, les structures peinent à recruter des inspecteurs vétérinaires, indispensables à leur bon fonctionnement.

Concernant la consommation de viande, si elle baisse légèrement en volume, les auteurs du rapport estiment que cette évolution reste modérée. Ils relèvent des transformations dans les habitudes d’achat (hausse des produits transformés, attention accrue à l’origine) et appellent à une meilleure valorisation de la production nationale. Le rapport plaide notamment pour une transparence accrue sur l’étiquetage, y compris sur les produits transformés, et pour le développement des débouchés de sous-produits dans une logique d’économie circulaire.

21 recommandations

Les corapporteurs des travaux listent plusieurs recommandations, qui couvrent un large éventail de sujets, depuis le soutien direct aux éleveurs pour enrayer la décapitalisation jusqu’à la consolidation du maillage territorial des abattoirs et l’amélioration de l’information des consommateurs sur l’origine des viandes.

Ils abordent également la valorisation des sous-produits animaux et la question sensible de l’abattage rituel. Pour cette dernière, les députés estiment qu’une interdiction serait une « fausse bonne idée », car elle risquerait d’entraîner un report massif des abattages vers d’autres pays moins regardants sur les conditions de transport et d’abattage, compromettant ainsi le bien-être animal sur de plus longues distances.

Le rapport préconise une approche d’accompagnement plutôt que d’interdiction, en renforçant les contrôles sur les commandes d’abattage rituel pour éviter les excédents. Il appelle également à rétablir un dialogue régulier entre les représentants des cultes, les acteurs de la filière, les autorités et les associations de protection animale, éventuellement au sein du Comité national d’éthique des abattoirs (CNEAb), et à favoriser la recherche sur des techniques d’étourdissement conciliant rites et bien-être animal.

Les parlementaires préconisent par ailleurs un alignement des normes françaises sur les seuils européens pour les installations classées (ICPE), un soutien à la contractualisation dans les filières animales, la réorientation de la Pac 2028-2034 en faveur de l’élevage et des prairies, le suivi renforcé des abattoirs ayant bénéficié d’aides publiques.

Ils appellent également à une mise en œuvre accélérée du plan gouvernemental de reconquête de la souveraineté sur l’élevage, lancé en février 2024. Et en particulier sur le volet de l’engraissement, afin de limiter l’exportation d’animaux vivants.

Ils soulignent aussi la nécessité de contrôler rigoureusement l’usage des aides publiques afin qu’elles contribuent effectivement à la modernisation des outils, et non à de simples « effets d’aubaine » avant fermeture. Ils recommandent notamment de rendre publics les contrôles et évaluations des investissements réalisés grâce aux aides.