Est-ce que la mise en place de cette nouvelle Pac et l’apparition des plans stratégiques nationaux (PSN) marque une rupture dans la politique agricole européenne, selon vous ?
On peut parler de rupture, oui, et d’un changement de paradigme. Au fur et à mesure des différentes réformes de la Pac, l’Union européenne a été confrontée à de nombreuses critiques de la part des capitales des pays membres. Notamment parce que l’obligation de moyens qui était la logique jusqu’à présent conduisait à des inadaptations aux contextes nationaux agricoles. En cas d’aléas climatiques, il fallait semer, même si l’agriculteur savait que ça n’allait pas lever, c’était sans doute une logique à revoir. Ce n’est pas la seule raison pour le passage aux PSN mais ça en fait partie et c’est le premier niveau de rupture. La contrepartie à ces marges de manœuvre relativement importantes qui ont été laissées aux États membres, c’est que la Commission européenne dispose d’un pouvoir de validation et de suivi de ces PSN. C’était d’ailleurs un processus assez peu transparent au départ.
Qu'est-ce à dire ?
Comment la Commission européenne allait décider de la cohérence d’un PSN vis-à-vis de l’ensemble de la politique agricole commune ou les uns par rapport aux autres ? Comment elle allait évaluer ensuite la progression de chaque État membre vis-à-vis des indicateurs de résultats au regard du pacte vert ? Ce processus d’évaluation, de validation et de suivi de la performance était est totalement inédit.
Comment ce changement s’est matérialisé au niveau institutionnel ?
Dans un certain sens, on a un retour des capitales européennes dans le choix de leur déclinaison de la politique agricole commune. On a aussi, au niveau des institutions européennes, une montée en puissance du rôle de la Commission européenne vis-à-vis du Parlement et du Conseil dans le processus de mise en œuvre de la Pac. Désormais, elle peut décider au fur et à mesure des différentes évaluations des PSN que nous aurons en 2025 et 2027, de geler ou réduire les fonds des États membres. Et là, nous sommes dans un monde inconnu.
Est-ce que vous avez déjà identifié des difficultés dans le fonctionnement de cette nouvelle Pac ?
On relativise l’influence du pacte vert dans la politique agricole commune, mais il n’en reste pas moins qu’on a des objectifs nouveaux qui sont apparus et qui n’étaient pas là dans les premières discussions sur le projet de réforme. Par exemple, comment la Commission européenne va évaluer la mise en œuvre des PSN au regard des objectifs du pacte vert ? Et c’est ce que nous avons voulu mettre en exergue dans l’article, il y a des disparités énormes dans les objectifs que se sont donnés les États membres vis-à-vis du pacte vert.
Vous avez des exemples ?
Pour l’agriculture biologique par exemple, les degrés d’ambition sont vraiment disparates. L’Autriche a pour sa part fixé un objectif à 24 % de sa SAU soutenue à l'horizon de 2028 quand la Roumanie, la Pologne ou la Bulgarie sont plutôt aux alentours de 3 ou 4 %. Et au milieu on retrouve la France et l’Allemagne à 11,7 et 12 %. Ce sont des exemples qui nous conduisent à demander ce qu’on veut au niveau européen pour l’agriculture. On manque de boussole.
Les États membres peuvent donc prendre quelques libertés dans leurs ambitions. Comment ça s’est matérialisé pour un pays comme la Pologne que vous avez étudié pour votre article ?
Par exemple, le pays s’est engagé pour le bien-être animal via la diminution de la densité des animaux dans les bâtiments. A priori, ce n’est pas très difficile à atteindre. Ensuite, le suivi d’un plan de fertilisation a été inclus alors qu’en France à titre de comparaison, une grande majorité des exploitations le met déjà en pratique depuis longtemps. En revanche, l’agriculture biologique qui faisait partie des écorégimes au départ, ils l’ont retirée. C’était certainement un objectif plus difficile à atteindre.