Le 5 octobre 2015, vous êtes intervenu sur votre parcelle, pour tenter d’y déloger des fêtards. Ils étaient des milliers. Pourquoi avoir agi seul ?

Michel Barou : Le 21 juin, il y avait déjà eu une rave-party sur cette parcelle. Mais l’on avait fini par trouver un accord à l’amiable : les fêtards pouvaient rester, dans une partie limitée, à condition de ne plus jamais revenir. Ils s’y étaient engagés. Mais déjà, à l’issue de cette première fête, une camionnette était restée sur place pendant quinze jours. Et c’est ce même véhicule qui est revenu, en octobre, avec derrière lui, des fêtards en nombre démultiplié par rapport à la première fois. Cette seconde fête a commencé le vendredi. Le lundi suivant, ni la gendarmerie, ni la mairie n’étaient encore venues me voir. J’ai pété un câble. Ou plutôt j’ai le sentiment que l’on m’a forcé à défier les lois. J’ai voulu évacuer la parcelle en commençant symboliquement par déplacer cette camionnette qui était déjà présente en juin. J’ai pris mon tracteur et mon treuil. Le camion a fait deux mètres, puis la roue est allée dans une ornière et le pare-chocs s’est arraché. C’est là que ça a dégénéré.

Que s’est-il passé ?

Je me suis fait tabasser, oui, je me suis fait lyncher. J’aurai pu mourir. Ils m’ont roué de coups, à la tête, au thorax, j’avais plusieurs côtes de cassées, le visage défoncé… On a un métier où l’on n’a pas le droit d’être malade. J’ai eu 15 jours d’ITT (interruption du temps de travail). C’est ma femme qui a fait le boulot, à l’automne. Et j’ai par la suite dû payer une amende de 600 euros pour dégradation de véhicule. De leur côté, un de fêtards s’est pris sept mois de prison avec sursis et 2 000 euros d’amende.

Comprenez-vous ces sanctions ?

On nous demande de respecter les lois au doigt et à l’œil, mais ces gens-là ne les respectent pas. Cela fait même partie de leurs fondamentaux. Ils sont là pour s’amuser, et nous, nous sommes là pour faire vivre nos fermes. Quelque part, c’est notre droit au revenu qui est bafoué au profit de leurs loisirs. Ils le comprennent d’ailleurs, de manière individuelle. Mais la logique du loisir et du groupe prend en général le dessus. J’ai ressenti du mépris à l’égard de mon métier. Ils ont piétiné mon outil de travail. C’est probablement dû à la méconnaissance du rôle des agriculteurs dans la société. Parce que c’est bien facile d’aller pousser un caddie dans le supermarché, et dans le même temps, d’occulter tout le travail en amont. Ils s’amusent sur des lieux dont ils n’ont pas conscience être la base de notre souveraineté alimentaire.

Que faire pour éviter que cela ne se reproduise ?

Il faut qu’en amont, les gens qui nous renseignent soient capables d’éviter ces travers. Tout simplement. Ce n’est pas à l’agriculteur de gérer cela. Notre métier est déjà compliqué. Aujourd’hui, l’État a des outils pour voir ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Et si ces gens-là ont besoin d’exutoire, il faut leur proposer des lieux officiels, que les choses soient faites dans la transparence. Il n’y a pas des bons et des méchants dans cette histoire, mais il y a des conflits d’usage. Heureusement, ce qui s’est passé en octobre a fait jurisprudence depuis. Ça ne sera jamais dit officiellement, mais un gros travail de la gendarmerie et de la préfecture est réalisé aujourd’hui pour éviter que cela ne se reproduise. Le rapport de force a été modifié.

Et concernant les dégâts, à quelle hauteur ont-ils été évalués ?

Il n’y a pas eu de chiffrage de fait… Mais les nuisances ont été énormes. Les basses résonnent très fort quand ils font la fête. On les entendait à trente kilomètres à la ronde, la parcelle est située en haut d’une montagne perchée. C’est un très beau lieu. En plus des agriculteurs, toutes les organisations citoyennes devaient être sur le pont pour stopper ces rave-partys qui sont désastreuses en termes de biodiversité et de dégâts notamment sur la faune sauvage. Mais ça, ça n’est pas le cas. Les agriculteurs se retrouvent seul à ce moment-là.