Les Safer ont dévoilé, lors de leur congrès annuel à Marseille le 2 décembre, un nouveau fonds de portage du foncier qu’elles sont en train de finaliser. Il sera destiné à faciliter l’installation d’agriculteurs dans l’incapacité financière d’acheter les terres en le permettant de demeurer locataire au titre d’un bail rural pour une durée allant de 10 à 30 ans.
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Elles travaillaient sur ce sujet depuis plusieurs années, en particulier avec le syndicat Jeunes Agriculteurs et avec le soutien récent du ministère de l’Agriculture.
Une solution à long terme pour les jeunes installés
La différence avec les outils de portage collectifs qui existent déjà dans certains territoires est la vocation à long terme du portage et son cadre national. « Il y a un certain nombre d’outils qui peuvent satisfaire en un temps t, mais on n’en a pas assez notamment pour installer des jeunes hors cadre familial », explique Thierry Bussy, président de la Safer Grand Est.
Un constat qui se traduit dans la stratégie de ce fonds d’investissement dit à « impact ». Son enveloppe sera fléchée à hauteur de 80 % vers des opérations réservées à l’installation dont 50 % hors cadre familial. Les 20 % restants concernent le « maintien des fermiers en place afin d’arriver à ce que les exploitations ne soient pas déstructurées et demeurent transmissibles », détaille Christophe Maillet, directeur du service des études de la veille et de la prospective à la FNSafer.
Le deuxième objectif du fonds est le développement de l’agroécologie avec 70 % des opérations qui devront être engagées dans cette voie. « Le bio et la HVE (haute valeur environnementale) rentrent dans cette agriculture de transition, souligne-t-il. On a aussi d’autres modèles qui ne sont pas forcément labellisés comme l’agroforesterie ou l’agriculture de conservation. En somme, pourra être retenu tout projet qui répondrait à un enjeu de préservation de l’environnement. »
Ces engagements seront formalisés dans un cahier des charges d’une durée de trente ans. « Il permettra de sécuriser le foncier afin que nous puissions garantir aux agriculteurs le maintien sur les terres en cas de changement de stratégie du fonds », ajoute Christophe Maillet.
Les projets seront proposés par les Safer
Le fonds sera géré par la société Citizen Capital créée en 2008 dans l’objectif de « mobiliser du capital pour répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux », selon les mots de sa présidente, Laurence Méhaignerie.
Ctitizen Capital aura pour rôle d’acheter le foncier selon la stratégie arrêtée et de garantir les investisseurs. Les terres en vente et le projet d’exploitation du futur installé seront proposés au fonds par les comités techniques départementaux des Safer. « Si la société de gestion refuse le projet, on trouvera une autre solution. La solution sera de trouver un autre candidat ou un autre bailleur. Ce n’est pas infaisable », assure Christophe Maillet.
Avec ce schéma de portage, « l’agriculteur n’a pas de surcoût, ajoute-t-il. Il paye un bail rural et quand il voudra acheter, il achètera au prix du marché ». Ce rachat sera permis entre la dixième et la trentième année du portage.
Le dispositif sera proposé sur tous les territoires et quelles que soient les filières. « C’est aussi une garantie pour les investisseurs. On ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Si demain, il y a une filière en crise, et que les prix du foncier viennent à baisser, il y aura d’autres filières qui viendront en soutien », précise le directeur du service des études, de la veille et de la prospective de la FNSafer.
65 millions d’euros sur cinq ans sont attendus
Une solidarité entre les filières va se traduire dans la fixation du taux de rentabilité. « Il ne sera pas fixe. On aura des opérations à 4 % comme en viticulture par exemple. Dans d’autres des cas de figure où le foncier sera un peu plus cher avec un marché sous pression, la rémunération sera inférieure », détaille Christophe Maillet. Quand l’objectif de 80 % de distribution du fonds sera atteint, le taux de rentabilité du fonds sera définitivement fixé. Un taux minimum de rentabilité de 1,5 % est fixé.
« Sa rentabilité est faible car le schéma n’est pas optimal d’un point de vue d’un investisseur financier classique : investir de l’argent sur trente ans, c’est très long, les loyers et le gain de plus-value sur les terres restent raisonnables. Ce projet casse les codes de l’investissement classique, admet Laurence Méhaignerie. On est assez heureux de constater qu’on parvient à susciter néanmoins l’intérêt d’acteurs institutionnels. »
« On souhaite avant tout accueillir dans un premier temps des investisseurs institutionnels (NDLR : banques, assureurs et les collectivités notamment) et à terme pouvoir mobilier l’épargne citoyenne et les fonds d’assurances vie, développe Christophe Maillet. On vise une première enveloppe de 65 millions d’euros, ce qui représenterait 150 à 200 opérations sur une période d’investissement de cinq ans. Si les jeunes agriculteurs sont satisfaits du dispositif et en bénéficient régulièrement, on pourra renouveler ce fonds pour un même montant. »
Un lancement espéré pour le début de l’année prochaine
Le fonds aurait dû normalement être livré fini lors du congrés des Safer, les 2 et 3 décembre 2021 à Marseille. Mais dans la dernière ligne droite, les négociations avec les investisseurs se sont compliquées notamment sur certains points juridiques et statutaires. « Nous sommes désormais à l’écoute des investisseurs et poursuivons les évolutions du projet, a déclaré Emmanuel Hyest, président de la FNSafer. Il s’agit que les contraintes et les priorités de chacun soit satisfaites tout en contribuant à relever le défi du renouvellement des générations. »
Intervenant en visioconférence depuis l’Allier où il participait au congrès de la Coordination rurale le même jour, le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, espère un lancement du fonds au début de 2022. Cette étape sera en fait conditionnée à la sécurisation de 20 % des 65 millions d’euros. Un seuil qui est « quasi atteint » aujourd’hui, selon Christophe Maillet.
« Pour lancer le fonds et monter que les Safer s’investissaient, chaque Safer s’est engagée à hauteur d’une certaine somme, a signalé Thierry Bussy. On a été les premiers à s’engager et il faut maintenant qu’on tire la charrette des institutionnels, qu’ils soient proches de notre métier ou un peu plus éloignés. »