À moins de trois mois de la fin de l’approbation du glyphosate en Europe, le planning s’accélère : la Commission européenne a communiqué, le 20 septembre 2023, un projet de renouvellement de la matière active pour dix ans. Bruxelles se range ainsi du côté des conclusions de l’Efsa, l'Agence européenne de sécurité des aliments, qui n’avait pas identifié de « préoccupation critique » dans son évaluation.
En proposant un renouvellement sur dix ans, la Commission se positionne donc sur un entre-deux : plus que l’approbation précédente (cinq ans) mais moins que le maximum de quinze ans, ce qui permettra selon elle de prendre en considération les éventuelles nouvelles connaissances acquises dans ce laps de temps.
La Commission a aussi pris en compte les incertitudes émises par l’Efsa, en proposant plusieurs conditions d’utilisation. « Il faut savoir que ces incertitudes ne sont pas exclusives au glyphosate : cela arrive toujours, pour toutes les évaluations de substances phytosanitaires », a insisté lors d’un point avec la presse Klaus Berend, de la direction générale de la santé de la Commission européenne.
Un calendrier automnal serré
Le projet de renouvellement a fait l’objet de discussions entre les États membres, pour d’éventuelles modifications, lors d’une réunion du Scopaff (comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale), le vendredi 22 septembre. Le vote, quant à lui, est programmé autour du 13 octobre 2023.
L’adoption ne peut être possible que si le vote est favorable avec une majorité qualifiée (le principe est le même pour une non-adoption). Si la majorité qualifiée n’est pas atteinte, un « comité d’appel » serait à programmer pour organiser un deuxième vote, lui aussi contraint par la majorité qualifiée. Si elle n’est toujours pas atteinte, alors la Commission européenne aura la possibilité de trancher… Le planning de ces prochaines semaines sera donc très serré pour respecter l’échéance du 15 décembre 2023, date de fin d’approbation de la matière active.
Si le glyphosate est réautorisé dans l’Union européenne, il appartiendra ensuite à chaque État membre de renouveler les autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires contenant du glyphosate.
Une certaine flexibilité
Plusieurs points de vigilance sont cités, pour lesquels chaque État membre devra « prêter attention » : coformulants, résidus dans les cultures suivantes, protection des eaux souterraines et de surface, protection des petits mammifères herbivores et des plantes non-cibles et effets indirects sur la biodiversité.
Quelques rappels sur l'emploi du glyphosate (20/09/2023)
Pour tous ces points, la Commission laisserait une certaine flexibilité aux États membres, puisque leur application (et donc d'éventuelles conditions ou restrictions d’utilisation) se ferait au stade de la réhomologation des produits phytosanitaires, au niveau national. Le projet de règlement cite également la mise en place de bandes tampons non traitées de 5 à 10 mètres en bord de champ, ainsi que l’utilisation de buses permettant de réduire la dérive d’au moins 75 %. Cette mesure pourrait être atténuée, voire supprimée s’il peut être prouvé qu’elle n’est pas nécessaire, là aussi au stade de la réhomologation des produits commerciaux.
Finalement, seule une mesure pourrait être applicable en l’état dès l’adoption du règlement, à savoir l’interdiction des usages pour la dessiccation.
Un risque d’hétérogénéité
Cette proposition convainc peu les autorités françaises, le gouvernement défendant sa propre approche. En effet, en France les exploitations sont déjà limitées dans leur utilisation du glyphosate, puisqu’il n’est autorisé que dans les situations où aucune alternative n’existe à court terme (avec des doses maximales à ne pas dépasser), comme en agriculture de conservation des sols par exemple. Le ministère de l’Agriculture en a souligné les débuts prometteurs (réduction de 27 % du nombre de doses unités agricole de glyphosate en 2022 par rapport à 2015-2017) et compte bien poursuivre dans cette voie. Problème : cette particularité est plutôt une exception dans l’Union européenne… Aussi le gouvernement souhaite voir son approche harmonisée à tous les États membres.
À ce jour, la France ne s’est pas publiquement prononcée sur son intention de vote… À l’inverse, l’Allemagne a plaidé pour une sortie européenne du glyphosate et met en garde « contre des niveaux de protection hétérogènes dans l’Union européenne ». Favorable à son renouvellement, le président de l’AGPB, l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales, Eric Thirouin partage néanmoins cette inquiétude : « Il ne faudrait pas qu’on se retrouve demain avec tous les pays qui vont avoir l’usage du glyphosate, comme aujourd’hui, et cette distorsion de concurrence en France avec des restrictions qu’il n’y a nulle part ailleurs », a-t-il alerté lors d’une conférence de presse le 21 septembre 2023.
La Plateforme glyphosate France, qui représente six entreprises commercialisant en France la majeure partie des préparations phytosanitaires à base de glyphosate, a quant à elle pris acte de cette proposition : « Il appartient désormais aux États membres de se prononcer. La Plateforme glyphosate France s’en remet à eux pour fonder leur décision sur l’évaluation scientifique de la substance », a-t-elle indiqué par communiqué.
Les ONG s’insurgent
Du côté des associations environnementales et de certains mouvements politiques, c’est la douche froide. « Un désastre pour la santé humaine et l’environnement », « une proposition à contre-courant des multiples crises auxquelles fait face le monde agricole », « une position schizophrénique » de la France… Les critiques fusent après l’annonce de la Commission.
Générations Futures dénonce notamment la mise l’écart par l’Efsa d’un nombre important d’études universitaires. L’association, comme d’autres, pointe aussi du doigt les lacunes de l’évaluation sur la biodiversité, et une non-prise en compte des préoccupations des citoyens européens. En effet, selon un sondage mené par l’organisation Pesticide Action Network Europe, une majorité d’entre eux seraient favorables à une interdiction du glyphosate.
Les ONG appellent donc la France à « agir de manière cohérente » et à « prendre ses responsabilités », en votant contre le renouvellement de la matière active dans l’Union européenne. Réponse dans quelques semaines…
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