La Commission européenne a présenté ses premières propositions pour la Pac post-2027. Peut-on déjà savoir à quoi ressemblera la prochaine politique agricole ?

« Non, ce sont les propositions de départ de la Commission européenne, pas un accord, prévient Aurélie Catallo, spécialiste des politiques agricoles à l’Iddri. Cela ne veut pas dire que la prochaine Pac, surtout dans son application fine en France, va ressembler à cela. Les premiers débats se cristallisent sur des textes encore très évolutifs : rien n’est joué, et il est encore trop tôt pour dire quel sera l’impact concret pour les agriculteurs, et d’anticiper quel sera vraiment le budget de la prochaine Pac. »

Le budget et la nouvelle architecture financière inquiètent beaucoup. Peut-on mesurer les impacts pour les exploitations ?

« La Commission propose une réforme de son cadre financier pluriannuel qui permet de traduire sur sept ans les priorités budgétaires de l’Union européenne. Ce qui a des conséquences majeures pour l’agriculture. L’intégration du budget de la Pac dans un grand fonds transversal — les futurs plans de partenariat nationaux et régionaux (PPNR) — va avoir des conséquences sur qui négocie la Pac, où vont se faire les arbitrages sur le budget, ainsi que sur le niveau de subsidiarité, c’est-à-dire la marge de manœuvre laissée aux différents États membres. »

« Mais pour les agriculteurs, l’impact réel reste très difficile à anticiper, poursuit-elle. On ne connaît ni le niveau final du budget européen, ni celui du cofinancement national. Le soutien global pourrait rester stable si les États compensent une éventuelle baisse européenne. Tout cela dépendra des négociations, qui sont loin d’être abouties. »

La création des PPNR signifierait-elle la fin des deux piliers de la Pac ?

« Dans la proposition actuelle, oui, estime Aurélie Catallo. Il n’y aurait plus de distinction entre premier et deuxième piliers, puisque les fonds seraient intégrés dans un ensemble unique. Mais cela ne signifie pas que les mesures disparaissent. »

« Les États conserveraient une grande marge de manœuvre pour proposer des dispositifs très proches de ce que l’on connaît aujourd’hui : dispositifs annuels ou pluriannuels, ciblés ou non… Sur la base des nouvelles règles de la Pac, ils peuvent toujours proposer des mesures qui s’inscrivent dans la continuité de ce qu’on connaît actuellement. »

Beaucoup d’États membres et de syndicats se disent déjà insatisfaits du budget pour l’agriculture. Or tout semble encore très hypothétique, notamment à cause du cofinancement. Comment comprendre ce débat ?

« Il y a une subtilité à saisir : est-ce que ce qui inquiète, c’est une baisse de la Pac pour les bénéficiaires finaux, ou une baisse du budget européen alloué à la Pac ? Avec le principe de cofinancement, s’il est maintenu, il est probable que le budget dédié au secteur agricole diminue. Mais si les États mettent le cofinancement prévu en face, il n’y aura pas nécessairement une diminution de l’enveloppe de soutien public total pour les agriculteurs. »

« Évidemment, plus la baisse du budget est forte au niveau européen, plus les États devraient en théorie compenser. Donc il y a une part de responsabilité du côté de l’échelle nationale. Beaucoup d’États membres chercheront probablement à préserver une forme de continuité de ce qui existe aujourd’hui. Auquel cas les agriculteurs ne devraient pas ressentir une grande révolution dans leurs démarches. Cela signifie qu’il y aura sans doute un décalage entre l’ampleur de la réforme pour le cadre financier pluriannuel et ce qui en découle sur le terrain. »

Qu’en est-il de l’aide au revenu et de sa réforme ?

« La Commission insère une dimension sociale plus forte : prise en compte des revenus, mais aussi du fait d’être femme, jeune agriculteur, petite exploitation, polyculteur, éleveur, etc. Il est peu probable que la mesure demeure telle que proposée par la Commission, mais réformer cet outil de l’aide au revenu paraît être une réponse à la contrainte budgétaire. »

« Sans toucher à cette mesure, il est plus difficile d’allouer davantage de budget européen à d’autres priorités, comme le souhaiteraient la Commission européenne et une partie des États membres. »

« Cette proposition peut aussi être interprétée comme une anticipation de l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Beaucoup d’États membres, dont la France, défendent une position dans laquelle il n’est pas possible que l’Ukraine rentre avec une Pac équivalente, sans quoi elle raflerait le gros de la mise du budget de la Pac. »

Au vu de l’ampleur de la réforme, faut-il croire aux promesses de simplification affichées par la Commission ?

« Une politique européenne applicable à des millions d’exploitations dans des contextes très différents ne peut pas être “simple”. Promettre la simplicité, c’est s’exposer à de fortes critiques. Il serait plus réaliste de viser davantage de cohérence et de lisibilité. »

(1) L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) est un cercle de réflexion indépendant proposant des outils et des réflexions pour une transition vers le développement durable.