À la suite de quatre jours d’intenses négociations, les chefs d’État sont donc enfin tombés d’accord sur le plan de relance post-Covid et le budget à long terme de l’Union européenne. Et, à l’intérieur de ce dernier, sur l’enveloppe affectée à la politique agricole commune.

 

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Une hausse… qui masque plutôt une baisse

En hausse par rapport à la proposition de Bruxelles formulée en mai 2018 (22 milliards de plus), le budget de la Pac pour 2021-2027 augmente même de 6 milliards par rapport à la période actuelle (2014-2020). Une hausse calculée en euros courants, comme il est d’usage, et qui masque donc une baisse quasi certaine en euros constants, compte tenu de l’inflation.

 

Pour la France, l’enveloppe est stable en euros courants (62,4 milliards au lieu de 62 milliards actuellement), ce qui signifie une baisse en euros constants. Le premier pilier perd un milliard, à cause de la « convergence externe » : les États membres ayant les plus faibles montants d’aides à l’hectare vont se rapprocher progressivement de la moyenne européenne au cours de la période, moyennant un effort de la part des États membres versant les montants les plus élevés. La France voit en revanche son second pilier revalorisé, comme quatorze autres États, mais elle hérite d’un montant nettement plus élevé que les autres, avec 1,6 milliard d’euros (juste derrière, l’Allemagne hérite de 650 millions).

Des arbitrages sur l’utilisation des fonds

Au-delà de l’enveloppe globale, les chefs d’État se sont aussi mis d’accord sur certains arbitrages concernant la répartition de ces crédits.

 

  • Un minimum de 40 % des crédits de la Pac doivent être orientés vers l’action en faveur du climat et de l’environnement.
  • La convergence externe se poursuivrait, financée proportionnellement par tous les États membres, pour que chaque État arrive à un montant minimal d’aide à l’hectare de 200 € en 2022 et 215 € en 2027.
  • Le plafonnement des aides proposé par la Commission européenne à partir de 100 000 € par bénéficiaire deviendrait facultatif, et il ne s’appliquerait qu’au paiement de base duquel sont soustraits tous les coûts salariaux.
  • Une réserve de crise dotée de 450 M€ serait constituée chaque année, dont le montant non utilisé serait reporté sur les années suivantes. Celle de 2021 est constituée par les montants non utilisés de 2020, provenant de la « discipline financière » (par une ponction sur les aides directes, généralement remboursée l’année d’après). Concrètement, cela signifie que les montants ponctionnés sur les aides directes pour constituer la réserve financière de 2020 ne seront pas reversés aux agriculteurs l’année suivante, comme c’est généralement le cas chaque année (la réserve de crise n’ayant encore jamais été utilisée).
  • Les transferts entre les deux piliers de la Pac pourraient concerner jusqu’à 25 % de l’enveloppe.
  • Le taux de cofinancement maximal du second pilier serait de 43 % pour la plupart des mesures (hors régions ultrapériphériques, régions les moins développées et régions en transition qui pourront bénéficier de taux plus élevés). Il pourrait cependant atteindre 65 % pour l’aide aux zones défavorisées (ICHN) et 80 % pour les mesures liées à l’environnement et au climat ou les investissements non productifs.

Un accord qui « limite la casse »

« L’accord conclu cette nuit, qui est le résultat de l’engagement constant de la France depuis trois ans, est un très bon accord pour l’agriculture européenne et française qui lui donne les moyens de ses ambitions », s’est félicité le ministre Julien Denormandie, dans un communiqué du 21 juillet 2020. Les syndicats agricoles sont plus réservés.

 

« Dans cette négociation difficile, le chef de l’État a su défendre l’intérêt européen et “limiter la casse” pour le secteur agricole », apprécient la FNSEA et JA. Reconnaissant « des avancées réelles sur le budget adopté », ils pointent cependant l’impact de l’inflation. « Il faudra également être vigilant sur l’ambition de la Commission européenne dans les stratégies “Farm to fork” et “Biodiversité 2030”, visant à accélérer les transitions, notamment écologiques, de l’agriculture.

 

Avec des moyens supplémentaires limités, les objectifs devront être adaptés : difficile de demander aux agriculteurs de faire plus sans leur en donner les capacités financières », ajoutent les deux syndicats.

Pas de remise en cause du modèle de répartition

« En tenant compte de l’inflation, l’enveloppe subit une baisse de 1,6 % par rapport aux sept années précédentes », appuie le Modef. Mais c’est surtout sur la répartition des aides qu’il s’insurge, dénonçant un système « favorisant les agrandissements et la spéculation foncière ».

 

Au nom de « la justice sociale », le syndicat des exploitants familiaux « demande que le critère de surface soit remplacé par celui de l’actif et un salarié par exploitation à condition de plafonner les aides à 50 000 € par actif », que les aides couplées à l’élevage soient revalorisées et qu’une aide forfaitaire de 5 000 € soit versée aux fermes de moins de vingt hectares.

 

La même amertume est palpable du côté de la Confédération paysanne, qui juge que « le virage de redistribution des subventions n’est pas pris dans le sens de l’intérêt général et des paysan.ne.s ». Sans plafonnement obligatoire des aides, ni remise en cause des paiements découplés, « l’essentiel du budget continuerait à être versé sous forme de rente aveugle aux surfaces sans orientation des productions, et encore moins des systèmes de production », regrette le syndicat.

 

Pour envoyer un signal politique fort en faveur d’une Pac sociale et écologique, la Conf’ presse le ministre d’utiliser la possibilité, offerte par l’Europe, de « notifier avant le 1er août un relèvement de la prime aux premiers hectares [et un] transfert supplémentaire de 7.5 % du premier vers le second pilier ».

 

À la Coordination rurale, Bernard Lannes se montre également circonspect. Il craint notamment que les agriculteurs soient perdants, avec un budget agricole inférieur à celui affecté à l’écologie à l’échelle européenne.