Les dégâts des oiseaux coûtent environ 282 €/ha de tournesol, en comptant les resemis, estime Terres Inovia. « En 2024, 751 ha de tournesol semences ont été perdus », ajoute Christophe Sausse, ingénieur chez Terres Inovia, le 25 mars 2025 lors de la restitution du projet portant sur la limitation des dégâts d’oiseaux aux cultures (Lido) à Paris. Dans le cadre de ce projet, qui s’est tenu de 2022 à 2025, des observatoires ont été mis en place sur quatre sites d’études : en Beauce Gâtinais et dans l’Yonne avec du tournesol de consommation, et dans la Drôme et la Vendée avec du tournesol semences (1).

Des suivis de dégâts sur les parcelles de tournesol ont été réalisés de 2021 à 2024. Ils montrent que la majorité des parcelles sont peu attaquées, et qu’une faible proportion présente des dégâts importants. « C’est cet aspect imprévisible qui est préjudiciable, et qu’on essaie d’expliquer », décrit Christophe Sausse. Les dégâts sur tournesol sont principalement occasionnés par le pigeon ramier et dans une moindre mesure par le corbeau freux et la corneille noire.

Déterminer les facteurs de risques

« Aujourd’hui, il n’existe pas de solutions satisfaisantes, si ce n’est observer, réagir et ressemer », indique l’ingénieur. Le projet Lido a produit quelques enseignements, notamment concernant les facteurs de risque. Plusieurs ont été explorés : la synchronisation des dates de semis, la météo, les forêts, la localisation des corbeautières, l’isolement du tournesol… Sur ce dernier point, « on constate que les fortes attaques surviennent plutôt sur des parcelles isolées par rapport aux autres. Plus on a de tournesol dans les alentours, plus les dégâts sont dilués », observe Christophe Sausse.

Le regroupement spatial des parcelles de tournesol pourrait être un levier pour réduire les dégâts. « Cela ne limite pas le nombre de plantes détruites mais les dilue sur une plus grande surface, ce qui représente un faible pourcentage pour le producteur et devient acceptable », souligne Lucie Zgainski, de Terres Inovia.

Par ailleurs, les dégâts les plus importants sont constatés sur les parcelles dont la date de semis est tardive et désynchronisée du groupe. Il y a donc un intérêt à semer en même temps que les autres, et assez précocement. « On voit bien qu’il y a des logiques territoriales, en se coordonnant pour semer au bon endroit et au bon moment, mais ce n’est pas simple », résume Christophe Sausse.

À partir de ces données, un travail de modélisation a été entrepris avec la production d’un modèle « boîte noire ». Celui-ci vise à prédire les risques en fonction du paysage. Il est affiné en début de campagne avec la météo et les intentions de semis. « Les résultats sont corrects sur les zones où l’on a entraîné le modèle, mais ils ne sont pas bons sur les zones en dehors. Son déploiement va dépendre de l’existence d’une large base de données géolocalisées pour l’entraînement du modèle », explique Christophe Sausse.

Les déplacements des corbeaux mieux connus

Une étude connexe à Lido a par ailleurs été menée sur les corbeaux par l’Office français de la biodiversité (OFB), dans la même zone d’étude de Beauce Gâtinais. Des corbeaux ont été capturés et équipés de balises GPS afin de suivre leurs déplacements en 2023 et 2024. Ceux-ci varient avec l’âge des oiseaux.

Au printemps, les adultes restent cantonnés autour de la corbeautière. « Cette période correspond à la première phase de reproduction : les mâles adultes ravitaillent les jeunes et la femelle qui reste au nid, ce qui limite leurs déplacements », rapporte Olivier Crouzet, de l’OFB. Le corbeau adulte fait des allers-retours fréquents à la corbeautière (modèle « essuie-glace ») et reste autour de la corbeautière, de l’ordre de 3 km. Les immatures qui ne se reproduisent pas n’ont pas cette contrainte d’alimentation des jeunes. Ils se déplacent plus loin et explorent en moyenne plus le paysage.

Après l’envol des jeunes, le corbeau adulte adopte un modèle « banlieusard » : les parents partent avec les jeunes la journée dans les parcelles. « Cette date est un point important. Les parcelles plus éloignées deviennent alors visitables et attaquables. Celles qui ont dépassé le stade sensible à cette période de l’année, soit les semis plus précoces, ont moins de chances de subir des dégâts », indique Michel Bertrand, de l’Inrae.

Détection automatique

Par ailleurs, des caméras avec prise d’images toutes les 1 minute 30 ont été installées pour quantifier la fréquentation des parcelles et des essais selon les espèces. « L’espoir est d’arriver à mettre au point une machine capable de reconnaître automatiquement les oiseaux », informe Michel Bertrand. Dans un premier temps, la machine est « nourrie » des petites vignettes d’oiseaux. Les résultats sont pour l’instant intermédiaires. « Elle voit mieux les corvidés que les pigeons, sans doute en raison du contraste. »

La détection automatique pourrait être, à terme, mobilisée pour la protection des parcelles, avec des effaroucheurs intelligents, qui ne tonneraient que lorsqu’il y aurait des oiseaux. « Cela pourrait changer les relations avec le voisinage, espère Michel Bertrand. Et pourquoi pas un signal lumineux qui serait dirigé vers les oiseaux quand on sait où ils sont ? Ou bien imaginer l’envoi d’un SMS à l’expérimentateur ? » Mais se pose la question de la portée de la détection, actuellement à 100-150 mètres. « Sur un essai ça va, mais sur une parcelle agricole, il est arrivé d’installer une caméra et que les dégâts soient de l’autre côté. »

Manque de travaux sur les pigeons

« La recherche sur les corvidés commence à avancer, mais on a du mal à mobiliser pour travailler sur le pigeon ramier, qui est pourtant un point noir en tournesol », souligne Christophe Sausse. Si le projet Lido a permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur les oiseaux, les solutions opérationnelles ne seront pas immédiates.

Les stratégies de lutte passeront par des combinaisons de leviers et par l’adaptation de la protection des parcelles au niveau de risque. L’ingénieur note par ailleurs quelques innovations technologiques, notamment au niveau des effaroucheurs, « qui seront à suivre et à accompagner. »

Il insiste également sur l’importance de faire remonter les dégâts, pour les classements des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, ou Esod (lire l'encadré). L’outil de signalement des dégâts de la faune sauvage lancé par les chambres d’agriculture, disponible gratuitement dans 75 départements, permet dans ce sens de caractériser le type de dégâts sur la base d’une photo et de la géolocalisation de la parcelle.

(1) Financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et de Semae.