Fabriquer des produits laitiers à bas prix avec de la matière grasse végétale, c’est possible. C’est ce qu’a mis en lumière Christian Corniaux, chercheur au Cirad (1) lors d’une conférence sur les marchés mondiaux du lait et de la viande de l’Institut de l’élevage, le 11 juin 2024 à Paris. « La matière grasse laitière a vu son prix exploser ces dernières années et en Afrique de l’Ouest, la population est pauvre », décrypte-t-il.. Des industriels laitiers européens ont ainsi trouvé une astuce pour écouler les surplus de poudre maigre, tandis que la poudre grasse reste sur les marchés européens.
Produits laitiers à bas prix
« Depuis dix ans, la présence de poudres lactées à base de matières grasses végétales (poudre MGV) explose sur le marché mondial », constate le chercheur. Obtenue par séchage d’un mélange de lait écrémé et de graisse végétale en poudre telle que l’huile de palme, elle inonde le marché africain. Cela permet aux industriels implantés sur ce continent de fabriquer des produits laitiers à bas prix. Yaourts, glaces, fromages fondus… Toute la gamme de produits laitiers est concernée.
Au total, un tiers des produits laitiers consommés en Afrique de l’Ouest contiennent de la poudre MGV et plus de 50 % dans les villes. « On peut trouver de La Vache qui rit en Afrique, mais je vous garantis qu’elle sera faite à partir de matière grasse végétale », appuie Christian Corniaux.
Les industriels européens aux manettes
Qui, exactement, fabrique les poudres MGV ? « L’Irlande, les Pays-Bas, la Pologne, le Danemark… Certains pays d’Asie exportent également cette poudre, après avoir importé de la poudre de lait écrémé pour fabriquer le mélange », rapporte le chercheur du Cirad. Cela ne s’arrête pas là. De nombreuses entreprises laitières européennes sont implantées en Afrique de l’Ouest. Elles réceptionnent les poudres MGV pour les reconditionner et fabriquer des produits laitiers.
Ce commerce de produits à bas prix permet à une population en forte croissance de se nourrir. En Afrique de l’Ouest, la population est passée de 237 millions à 419 millions d’habitants entre 2000 et 2021. « Pour les industriels, le marché est garanti. Les importations de poudre MGV ont été multipliées par 10 sur cette période. Et la population va continuer à croître pour passer au milliard d’habitants d’ici à quelques dizaines d’années », projette Christian Corniaux.
« Étiquetage trompeur »
Si des initiatives de production de lait (et donc de matière grasse animale) locale existent, elles sont concurrencées par la poudre MGV et son prix imbattable, « environ 30 % moins cher que les poudres de lait classiques », selon le Cirad.
Les produits laitiers à base de poudre MGV sont-ils mauvais pour la santé ? Le débat existe sur la scène publique ouest-africaine. « Rien n’indique que cette poudre soit mauvaise, tempère Christian Corniaux. Mais les industriels laitiers jouent sur un étiquetage peu clair qui trompe le consommateur. »
Pour le chercheur, en revanche, « la fabrication de ces produits laitiers avec les « restes de l’Europe » est éthiquement discutable et sert un modèle productiviste ».
(1) Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.