«Tous les matins, je me lève pour travailler », insiste Thierry Blanche. Ses serres, ses terres et sa maison sont en vente. La liquidation a été prononcée le 15 octobre 2015. Quelques jours plus tard, juste avant les grosses livraisons de la Toussaint, le mandataire liquidateur fermait les grilles de l’exploitation et licenciait dans l’heure ses quatre salariés. Thierry s’est alors battu pour que sa compagne Valérie puisse racheter, au commissaire-priseur, la marchandise sur le point d’être livrée. Six mois plus tôt, elle avait quitté son travail pour reprendre, au sein d’une SAS, la production et la commercialisation des fleurs. Alors, en attendant l’issue de la liquidation, il continue à travailler à ses côtés. Les yeux rougis de fatigue et d’insomnie, il souligne : « Je n’ai rien à cacher. » Ni les 500 000 € de dettes qui expliquent cette liquidation, ni le chemin malheureux qui l’a mené devant le tribunal de grande instance.
Il a repris cette exploitation en 2000 à Louvois (Marne), non loin de Reims où travaillait alors sa compagne. Un mois plus tard, la grêle détruit les serres un peu vieillissantes. Les banques suivent ce jeune qui en veut. Il modernise son établissement et le chiffre d’affaires bondit de 440 000 € à 800 000 €. Très vite, il étend sa clientèle. « Nous cavalions du matin au soir. Il y avait de la demande partout. Les fleuristes se multipliaient et les grandes surfaces proposaient de plus en plus de plants. » Seul problème : son EBE (excédent brut d’exploitation) qui stagne, malgré la progression du chiffre d’affaires, en dessous de 25 000 €. La crise de l’énergie en 2007, qui fait bondir le fuel de 0,42 à 1 €, ajoute encore 70 000 € à la facture.
La concurrence torpille les magasins. Les plants sont de moins en mois chers. Il cède alors aux sirènes de la grande distribution et produit davantage. Sans contrat ferme. Il embauche, produit et livre un gros client qui, après une première année idyllique, change de stratégie et néglige ce petit fournisseur de proximité.
Mal conseillé
Dès 2008, il fait appel à la cellule professionnelle « Réagir » pour les agriculteurs en difficulté. Avant de solliciter le tribunal et de se retrouver en procédure amiable. Son EBE ne couvre déjà plus ses emprunts (une mensualité de 2 800 €). « Je me suis entêté une année de trop, sur les conseils d’un professionnel mal avisé. Je pensais me refaire », analyse-t-il. L’an passé, le couperet tombe : la liquidation. « J’ai poussé un « ouf » de soulagement. C’était la fin de la crainte des huissiers dans la cour. Certains venaient deux fois par semaine. Un banquier m’appelait tous les matins. Maintenant, mes dettes sont gelées. »
La procédure de liquidation peut durer. Cela dépendra des solutions trouvées mais surtout acceptées par le mandataire-liquidateur. Il a rejeté deux propositions dont celles d’un voisin à 190 000 euros qui souhaitait laisser Thierry en place sur une partie de l’activité. « Il les a refusées en imaginant un projet immobilier sur une partie des terres. Mais c’est impossible. »
Thierry et sa femme luttent pour garder la tête hors de l’eau ! Ils proposent, à côté des fleurs en vente directe, des légumes en circuit court. Pour l’instant, si certains collègues ne se sont pas gênés pour démarcher ses anciens clients, d’autres l’ont aidé à se fournir en plants par amitié, par solidarité aussi dans une situation qu’ils craignent de connaître un jour.
La procédure traîne
« Le juge a été conciliant, l’administrateur judiciaire qui m’a adjoint pendant la période de surveillance (coût 14 000 €). Aujourd’hui, c’est mon avocat qui traite avec eux. Nous attendons la suite : va-t-on dégager, reprendre les serres ou devenir salariés ? C’est long. Je suis prêt à tout envisager. Et je bosse. Pour l’instant on mange, c’est tout. Je ne me laisse pas abattre. Je suis personnellement caution d’une partie de ma dette. Mais cette créance a été revendue par la banque à un négociateur. Mon avocat suit. Si on s’en sort, on ne fera plus que de la vente au détail, des légumes toute l’année, des fleurs au printemps et en été. Ma compagne a déjà son Certiphyto. »