Néonicotinoïdes, glyphosate, S-métolachlore (lire l'encadré), dimetoate, mancozèbe, phosmet, chlorothalonil, chlorpyrifos-méthyl, sulfoxaflor, benfluraline… Que ce soit à l’échelle de l’Union européenne (décisions relatives aux substances actives) ou à celle de la France (pour les produits formulés), les interdictions et restrictions se succèdent. Toutes productions confondues, la boîte à outils chimiques se restreint.

Plan de sortie du phosmet, plan national de recherche et innovation (PNRI) pour les néonicotinoïdes… La recherche d’alternatives est en cours. Mais Christian Durlin, de la FNSEA, l’assure : « Nous n’avons pas les solutions pour contrecarrer la vitesse à laquelle cela va. Ces cinq-six dernières années, ce sont environ 20 substances actives par an qui ont été interdites. » Et les alternatives identifiées n’ont pas un caractère de substitution totale.

Des produits sur la sellette

Depuis ce qu’il s’est passé avec les néonicotinoïdes, « la France ne veut plus donner de dérogations sur des produits qui ne seraient pas autorisés » à l’échelle de l’Union européenne, souligne par ailleurs Franck Duroueix, de Terres Inovia. Ainsi, les dérogations dites de « 120 jours » se raréfient également.

Outre les récentes interdictions, certains produits sont en sursis. L’Anses a par exemple précisé que l’efficacité des restrictions prises sur l’utilisation du prosulfocarbe devra être prouvée d’ici au 30 juin 2024, sans quoi les autorisations seront retirées, sans délai de grâce. Si demain le prosulfocarbe venait à être interdit, la lutte contre le vulpin résistant serait délicate. « En blé, c’est 20 à 25 % de rendement de moins en deux ans », estime Patrick Legras, de la Coordination rurale.

De nombreuses autres molécules, tous modes d’action confondus, vont prochainement être réévaluées et pourraient être interdites. Citons par exemple la métribuzine (herbicide), ou encore le fludioxonil (fongicide). Sur protéagineux, « on est au bord du précipice », estime Franck Duroueix, un constat qui irait « à l’encontre de la transition agroécologique ».

Pour mieux anticiper les retraits de solutions, Élisabeth Borne avait annoncé au Salon de l’agriculture de 2023 un changement de stratégie pour s’inscrire dans la ligne « pas d’interdiction sans solution ». « Malgré les ambitions affichées, nous restons inquiets », appuie Christian Durlin, pour qui il faudrait « un moratoire sur le retrait des substances. » La Coordination rurale, quant à elle, fustige le manque de compensation financière : « Oui il y a de la recherche, mais en aucun cas dans une optique de maintien du revenu et des rendements, quelle que soit la production », estime Patrick Legras.

« Pas de latitude politique » pour l’Anses

Auditionnée à l’Assemblée nationale le 21 septembre 2023, Charlotte Grastilleur, de l’Anses, précise qu’une AMM est là pour « garantir que le produit réponde à des critères de sûreté et des critères d’efficacité », et « ne tient pas compte de l’arsenal thérapeutique à disposition par ailleurs. » Les impacts socio-économiques, la hausse de l’usage des produits alternatifs (parfois peu nombreuses), la recrudescence d’une problématique sanitaire… ne sont pas du ressort du dispositif telle que la législation est construite. « Il n’y a pas de latitude politique à un aménagement de la décision en fonction des besoins de telle ou telle filière », indique-t-elle, en ajoutant que l’Anses est « consciente » des enjeux.

Ces derniers temps, plusieurs voix se sont élevées pour demander que la compétence décisionnelle finale soit rendue au ministère de l’Agriculture, comme c’était le cas avant la réforme de 2014. Mais pour Charlotte Grastilleur, la question n’est pas là. Tout écart au texte de loi qui encadre le processus « emporte des conséquences pénales très directes, quel que soit le signataire », certifie-t-elle.

Christian Durlin souligne toutefois une démarche encourageante dans la manière dont ont été maintenus les produits contenant du prosulfocarbe : l’Anses a conditionné les usages à l’utilisation de buses antidérives. La FNSEA ne demande qu’à voir les technologies de précisions (désherbage localisé, dispositifs antidérives par exemple) davantage intégrées dans les AMM. Pour l’heure, l’approche n’est pas encore répandue.