En 2018, selon le rapport Ecophyto, la quantité de substances actives (QSA) totale vendue s’élève à 85 876 t. L’UIPP, dans son communiqué diffusé le 7 janvier 2020, fait état de 68 000 t.

 

Des bases différentes

« Nous connaissons bien nos chiffres, défend Emmanuelle Pabolleta, de l’UIPP. Les bases utilisées ne sont pas les mêmes. Les chiffres des ministères s’appuient a priori sur les déclarations de vente des distributeurs aux agriculteurs. Quant à nous à l’UIPP, nous comptabilisons les ventes de nos adhérents, les fabricants de phytos, aux distributeurs. Nous ne sommes pas sur le même maillon de la chaîne. »

 

Les adhérents de l’UIPP représentent 96 % du marché en valeur. « Il reste donc 4 % qui ne sont pas chez nous, et qui ne rentrent donc pas dans nos calculs. » Les principales substances vendues en 2018 sont le soufre (16 % des ventes, environ 14 000 t), devant le glyphosate (11 % des ventes, près de 10 000 t). « Il existe de nombreux génériques de ces produits qui sont vendus par des entreprises en dehors de nos périmètres », ajoute Emmanuelle Pabolleta.

 

Jean-Baptiste Moreau, lors de la mission d’information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, évoque « des soucis d’interprétation dans la presse, les ONG, politiques… » et « des données interprétées de façon caricaturales ». Il regrette que ne soit pas relevé « la diminution de 10-15 % des produits les plus dangereux (CMR1 et CMR2), la forte diminution entre 2009 et aujourd’hui, d’un certain nombre de molécules interdites. »

Anticipation de la hausse de la RPD

L‘UIPP fait le lien entre la hausse de la redevance pour pollution diffuse (RPD), entrée en vigueur le 1er janvier 2019, et le rebond des ventes de phytos. Un phénomène similaire s’était produit lors des précédentes augmentations de la RDP en 2008 et 2015. « Soyons précis sur les termes : les agriculteurs n’ont pas fait des stocks de produits, ils ont anticipé leurs achats pour la campagne à venir, complète Pierre-Yves Busschaert, de l’UIPP. Nous parlons bien de vente, et non de consommation. » Une partie des ventes à destination de la campagne de 2019 a donc été comptabilisée dans les chiffres de 2018.

Les agriculteurs n’ont pas fait des stocks de produits, ils ont anticipé leurs achats

Pierre-Yves Busschaert de l’UIPP

Changer d’indicateurs ?

Les conditions climatiques et la pression ravageurs en 2018 ont également contribué à cette hausse. « Il suffit d’une infestation généralisée de maladies ou insectes sur la France pour qu’un effet soit immédiatement observé, précise Pierre-Yves Busschaert. Il ne faut pas non plus oublier que les néonicotinoïdes, qui s’utilisaient à faibles doses, ont été interdits en 2018 et ont souvent été remplacés par deux ou trois traitements. »

 

Ce phénomène s’applique également pour le soufre, alors que le biocontrôle prend de plus en plus d’ampleur (24 % de la QSA en 2018 selon les ministères). « Il concerne l’agriculture biologique comme le conventionnel, précise-t-il. Autorisé à hauteur de 8 kg/ha, il remplace des produits efficaces à faible dose. La QSA n’est pas un bon indicateur, il faudrait calculer en fonction de la quantité et de la dangerosité des produits. »

Une « incompréhension »

Les résultats du suivi Ecophyto soulèvent de nombreuses interrogations quant à l’efficacité de ce plan, lancé en 2008.

« Il faut arrêter de faire des schémas grossiers et de faire dire aux chiffres ce qu’on a envie qu’ils disent, sans retracer l’intégralité des efforts fait par les filières agricoles depuis plus de 10 ans. Dire que c’est un échec c’est un peu court et facile », affirme Jean-Baptiste Moreau.

 

Les syndicats AGPB (blé), AGPM (maïs), CGB (betterave) et FOP (oléoprotéagineux) ont fait part de leur incompréhension : « selon les ministres, la consommation de produits phytosanitaires aurait augmenté alors même que les pouvoirs publics ne cessent de prononcer des interdicitions », lancent-ils dans un communiqué diffusé ce 9 janvier 2020.

 

« Augmentation du biocontrôle, des surfaces en agriculture biologique (+ 13 %), retrait des molécules les plus préoccupantes, ces évolutions sont bien réelles. Mais elles ont aussi pour conséquence l’augmentation des impasses techniques qui entrainent l’arrêt de plusieurs productions, l’augmentation des coûts de production, l’accroissement des risques sanitaires (datura, ambroisie…) », indiquent-ils.

 

Les syndicats souhaiteraient ainsi des indicateurs qui reflètent mieux les efforts réalisés. « Cela permettrait d’informer réellement nos concitoyens et non de stigmatiser une fois de plus les agriculteurs. Relançons le dialogue à travers les chartes riverains, redonnons à la science et aux agences sanitaires une place prépondérante dans les prises de décisions. »

 

« La transition agroécologique est en marche et irréversible, a réagi Didier Guillaume le 9 janvier 2020, lors de son audition par la mission sur la sortie du glyphosate à l’Assemblée nationale. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut regarder l’utilisation des doses utiles mais peut-être en les mixant avec d’autres critères. Nous ne sommes pas dans les orientations que nous nous sommes fixées, mais ce n’est pas un échec. »