« On avait trop de pertes, trop de prédations, souffle Nans André, 34 ans, éleveur à Cérizols (Ariège), un village situé à une heure au sud de Toulouse. L’an dernier, entre les bêtes disparues et celles qu’on a retrouvées mortes, il nous manquait 45 brebis à la fin de l’été. En deux ans, 80 brebis perdues. Ça n’a plus de sens. Être agriculteur, c’est déjà assez difficile comme ça. Avec l’ours, c’est trop », dit-il, en caressant Siri, la fidèle chienne de berger qui lui obéit au doigt et à l’œil.
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Un changement de quartier
L’ours brun avait pratiquement disparu des Pyrénées, mais dans les années 1990, au nom de la biodiversité, l’État a lancé un programme de restauration de l’espèce en voie d’extinction. D’après l’Office français de la biodiversité (OFB), on compte désormais entre 97 et 127 ours dans les Pyrénées, la majorité en Ariège.
Depuis le village de Gèdre, dans les Hautes-Pyrénées, Nans André, sa sœur Manon, leur père Éric et quelques amis guident les 317 brebis tarasconnaises vers la vallée de Campbieil, non loin du cirque de Gavarnie. Marquées d’un « A » vert sur le flanc — pour les distinguer si elles se mélangent à un autre troupeau —, les 300 brebis quittent la place du village au petit trot, en rangs serrés, en direction des hauts pâturages, où elles vont brouter une herbe de choix pendant trois mois, à une altitude de 2 000 à 2 500 mètres.
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« Des ours ici ? Il y a un passage par là-haut. Mais cette année, on n’en a pas vu encore », assure un agriculteur, appuyé sur son bâton, au passage des brebis qui portent une cloche au cou et pour certaines un GPS, afin de les géolocaliser depuis un téléphone portable. Alors que l’équipe qui encadre les brebis s’essouffle sous un soleil de plomb, les agnelles et les brebis grimpent avec agilité, seulement ralenties par l’envie de dévorer des feuilles d’arbres dans la forêt ou, plus loin, l’herbe épaisse parsemée de fleurs.
Un berger engagé pour l’été
À la mi-journée, elles forment une tache blanche au pied d’une barre rocheuse, sur la pente escarpée proche de la cabane du berger engagé par les éleveurs pour veiller sur le troupeau durant l’été. Dans le département des Hautes-Pyrénées, « les estives ne sont pas tellement touchées par les prédations, observe le président de la Fédération pastorale de l’Ariège, Alain Servat. [En revanche], en Ariège, notamment dans le Couserans, on a 80 % de la population ursine des Pyrénées. On perd chaque année environ 800 brebis. »
L’OFB dit avoir recensé une baisse des attaques d’ours. Les éleveurs sont indemnisés par l’État en cas de prédation. « Théoriquement », souligne Alain Servat en haussant le ton. « Le problème, c’est que si la prédation n’est pas constatée dans les 72 heures par l’OFB, pas de remboursement. On ne retrouve pas toujours les bêtes. En une heure de temps, une brebis peut être dévorée par les vautours. Le brouillard peut aussi compliquer les choses. »
Aujourd’hui, « on a des éleveurs qui renoncent et qui ne veulent plus monter, par crainte de l’ours, malgré les aides » de l’État à la transhumance, relève Alain Servat, également maire d’Ustou (Ariège). Pour lui, « l’élevage et la présence de l’ours, ce n’est pas compatible ».
Malgré les aléas, pour nombre d’éleveurs des Pyrénées, la transhumance des brebis et des vaches est une tradition bien ancrée et marque une volonté de s’inscrire dans une démarche de qualité : meilleure alimentation, fraîcheur quand la canicule frappe la plaine. « Ça donne des brebis plus robustes, un meilleur lait, une meilleure reproduction », note Manon André.
La transhumance est souvent une nécessité pour les agriculteurs. Elle permet, pendant que les troupeaux passent l’été en montagne, de laisser pousser l’herbe dans les champs autour de la ferme et de récolter du foin pour l’hiver.
Pour le patriarche Éric André, cette première montée en estive à Campbieil (Hautes-Pyrénées) est « une expérimentation ». « Si ça se passe bien, cette année on augmentera progressivement et à terme on abandonnera Soulcem », l’estive ariégeoise historique de la famille.
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