« Si un maillon n’est pas compétitif, quelles qu’en soient les raisons, cela aura des conséquences sur l’ensemble de la chaîne », a résumé Benoît Piètrement, président d’Intercéréales, le 3 avril 2025 à Orléans lors du 25e colloque sur les orges brassicoles.

Les charges de production ont progressé depuis trois ans

Geoffroy Oudoire, ingénieur en recherche et développement au pôle d'économie d’Arvalis, a présenté les coûts de production et les prix d’intérêts (1) des différents bassins de production d’orges brassicoles en France, à partir des données Arvalis-Unigrains. « Il y a une cohérence entre les bassins à forts potentiels qui ont des charges et des rendements élevés (Charentes, Somme par exemple), et à l’inverse des bassins qui ont des charges et potentiels relativement modestes (Meuse, Vienne…) », explique-t-il.

Le prix d’intérêt est plus ou moins variable d’une année sur l’autre au sein de chaque bassin. Il constate par ailleurs un important écart de coût de production entre les 20 % « meilleurs » et la médiane des exploitations. « Les charges de mécanisation, la main-d’œuvre et les engrais expliquent en grande partie ces écarts », indique Geoffroy Oudoire.

« Sur la période de 2017 à 2021, la production d’orge de printemps permet en moyenne la rémunération des producteurs dans les principaux départements de production, ce qui n’est pas le cas en 2023 et 2024 », ajoute-t-il. Depuis trois campagnes, les charges de production ont en effet fortement progressé en orge de printemps comme d’hiver. « 2024 a été une mauvaise année tant sur le rendement qu’en terme économique, avec un prix de vente qui chute et un écart entre le prix de vente et le prix d’intérêt très important », explique l’ingénieur.

La France reste compétitive à l’international

Une étude d’Arvalis montre que, par rapport à ses concurrents à l’étranger, la France est plutôt compétitive sortie ferme. Cette étude, construite à partir du réseau international Agribenchmark, compare dix fermes types « performantes » dans les principaux pays producteurs d’orges (France, Russie, Australie, Danemark, États-Unis, Argentine). La France est représentée par une ferme picarde. « D’après l’échantillon que l’on a, le prix d’intérêt de la ferme picarde est proche des fermes russes et argentines, indique Geoffroy Oudoire. La ferme France a des charges élevées à l’hectare, mais un prix d’intérêt relativement faible grâce à des rendements hauts par rapport à la concurrence et des aides directes à la tonne qui permettent de diminuer le coût de production. »

Il nuance cependant : « La ferme picarde est compétitive sortie champ, mais son rendement est de 8,2 t/ha, soit bien au-delà de ce que d’autres fermes peuvent faire en moyenne en France. » De plus, l’étude se base sur quelques fermes performantes, qui sont supérieures à la moyenne. « Dans les autres pays, on ne sait pas où se situent ces fermes performantes par rapport à leur moyenne. C’est donc compliqué de conclure pour l’ensemble des fermes. »

Des infrastructures et une logistique performantes

« Même les mauvaises années, le marché français de l’orge de brasserie est toujours excédentaire, constate Loys de Monvallier, du groupe Axéréal. Nous avons des atouts, notamment le fait que l’on soit le seul pays producteur et exportateur d’orge d’hiver brassicole. Lorsque la Chine est présente aux achats, nous avons la souplesse d’avoir les accords phytosanitaires pour servir les clients chinois, ce qui n’est pas le cas de tous les concurrents. »

Il souligne également la performance de la chaîne logistique pour aller des silos intérieurs vers les places portuaires, où les capacités de stockage sont importantes, et la possibilité de charger toutes tailles de bateaux dont des panamax de 60 000 tonnes, « ce qui n’est pas le cas par exemple de l’Angleterre », appuie-t-il.

En donnant l’exemple d’Axéréal, il décortique la logistique multimodale (train, camion, péniche). En termes de prix, « le train est compétitif sur la longue distance, le camion sur la courte distance et la péniche est globalement compétitive mais avec parfois des tensions passagères où les prix s’envolent. »

Le train est moins flexible (commande un à deux mois à l’avance) comparativement à la route et au fluvial (commande une semaine à l’avance), et aussi moins fiable (grèves…) et plus contraignant en termes de contrat (engagements sur plusieurs années avec des tractionnaires). Train et péniche restent plus sécurisés (le chargement de deux trains de 1 500 tonnes par jour évite 100 camions sur les routes) et beaucoup moins polluants que le camion.

« On sent que c’est le discours politique de favoriser le train. Mais en réalité en France, concernant le fret de marchandises, on constate depuis dix ans une progression du camion et une baisse du train et des péniches », relève Loys de Monvallier. Il note pour le cas d’Axéréal une accélération du prix plus importante sur le train, avec une hausse des coûts de 28 % depuis dix ans, contre 20 % pour le camion. « Les travaux pour remettre certains sillons en route sont insoutenables, si bien qu’on est obligé de fermer certains silos embranchés. »

En 2025, un accord a été signé entre Intercéréales et la SNCF pour relancer le ferroviaire. « Les outils d’infrastructures sont performants mais il faut faire attention à leur maintien. Avec la baisse du trafic fluvial céréalier, on a perdu pas mal de péniches qui sont parties faire du BTP ailleurs. Ce sont des péniches qui ne reviendront pas : si un jour on a besoin de nouveau d’exporter beaucoup de céréales, on les retrouvera difficilement », regrette-t-il.

Retrait du flufénacet : « un vrai sujet de filière »

« La compétitivité de la ferme France est liée à ses capacités de production, qui sont assez élevées. Mais produire ne s’improvise pas. Cela veut dire qu’on a besoin de capacité de production, sans quoi la productivité qui fait notre force et la rentabilité sur nos exploitations peuvent être mises à mal », a insisté Benoît Piètrement.

Une vision partagée par Eric Thirouin qui a rappelé, en conclusion du colloque, que « les moyens de production sont de plus en plus retirés ». Sur le désherbage, « il y a un sujet de filière », a-t-il alerté. « Les États membres ont décidé d’interdire le flufénacet, produit désherbant de graminées. Pour la première fois, un Scopaff (2) s’est positionné en disant qu’il ne faut pas retirer le flufénacet trop vite. Ils ont accordé un délai plus long que la normale de 18 mois. Résultat, la molécule est utilisable à l’automne 2025 et 2026 en Europe. Maintenant, il faut que l’Anses valide. »

Par ailleurs, « il y a un sujet sur les aides européennes qui permettent de regagner en compétitivité. Or, depuis un ou deux mois, la Commission européenne a remis sur la table le débat du budget de la Pac pour la prochaine réforme. Et ils réfléchissent plutôt à des baisses colossales », s’est inquiété Eric Thirouin.

(1) Prix minimal auquel doit être vendue la production pour rémunérer l’ensemble des facteurs de production (terre/travail/capital). C’est le coût de production auquel sont retranchées les aides.

(2) Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale.