Les fortes températures et le manque de pluie en France et dans l’ouest de l’Union européenne font repartir les prix vers le haut. Le phénomène est renforcé par des ventes françaises de blé et d’orge et la faible probabilité de voir l’Ukraine rouvrir ses ports prochainement. Au contraire, les oléagineux s’affaissent avec le pétrole, la progression des semis de canola au Canada et de tournesol en Ukraine.

Le blé repart à la hausse avec la météo

À 309 €/t, le vendredi 17 juin 2022 dans l’après-midi, l’échéance de septembre du blé sur Euronext a gagné 7 €/t depuis le vendredi 10 juin 2022. Le rendu Rouen (récolte de 2022), de son côté, affiche une augmentation plus marquée de 14 €/t, à 398,25 €/t. Les prix repartent vers le haut à cause principalement des conditions sèches et très chaudes qui sévissent sur l’Europe de l’Ouest actuellement (France et Espagne surtout). Les notations des cultures en France ont été dégradées d’un point par Céré’Obs (FranceAgriMer) cette semaine (situation au 13 juin) : à 65 % seulement de plantes en bon ou excellent état, et les conditions actuelles pourraient encore faire baisser les notes la semaine prochaine.

 

Une vague de temps très chaud est aussi en cours sur le sud de la Russie. Outre Atlantique, dans le centre des États-Unis, il fait également chaud et sec actuellement, ce qui est toutefois plutôt positif pour la récolte des blés d’hiver.

 

En revanche, La Niña fait de nouveau parler d’elle avec une situation sèche dans le centre de l’Argentine, qui conduit la Bourse de Buenos Aires à réviser à la baisse son estimation de la surface que le pays va ensemencer. La surface est toujours prévue à la hausse dans ce pays mais réduite cette semaine à 6,4 millions d’hectares au lieu des 6,6 attendus auparavant. Le marché mondial compte sur l’Argentine pour son équilibre en 2022-2023 et toute nouvelle inquiétante dans ce pays exerce rapidement un impact haussier sur les prix des autres origines. Sur le marché argentin, les prix du blé de la récolte engrangée en décembre dernier sont en train de s’envoler (+15 $/t cette semaine) à 485 $/t : à la suite de ces craintes, mais aussi parce que les disponibilités s’amenuisent beaucoup après plusieurs mois d’exportations très élevées.

Les chances s’amincissent pour les exportations maritimes de l’Ukraine

Les pourparlers menés par l’ONU avec la Russie et la Turquie ne semblent pas près de se conclure et la probabilité de voir les exportations maritimes de l’Ukraine reprendre rapidement s’amenuisent de jour en jour. Cela a aussi contribué à soutenir les prix cette semaine.

 

Toutefois, les États-Unis et l’Union européenne viennent de reconfirmer leur soutien aux exportations par voie terrestre et fluviale en proposant la construction de silos temporaires le long de la frontière entre l’Ukraine et la Roumanie, d’une part, et la Pologne, d’autre part. Ces silos permettraient d’attendre plus sereinement ensuite la réexpédition des marchandises ukrainiennes en attente. Une délégation du comité de l’agriculture du Parlement européen va se rendre à la frontière ukraino-polonaise la semaine prochaine pour étudier la question.

 

Difficile de savoir quand ces efforts porteront leurs fruits. On peut toutefois a priori compter sur un accroissement des exportations terrestres via la Pologne et terrestres/fluviales via la Roumanie au cours de la campagne qui arrive. La compétition va s’annoncer ardue à Contantza (port roumain), par exemple entre l’exportation des blés roumains et ceux en provenance de l’Ukraine.

Ventes de blé français en cours

Les blés français, avec la hausse de cette semaine, ont perdu un peu de leur compétitivité mais demeurent encore très bien placés pour l’exportation. Des rumeurs ont circulé durant cette semaine de ventes possibles de blé français à l’Indonésie et l’Iran. Cette éventualité sera à suivre et n’est pas certaine : ces deux pays demandent en général une qualité de blé meunier que la France ne peut exporter… à moins que le pays recherche également du blé fourrager ?

L’orge grimpe aussi

L’orge française gagne 11 €/t cette semaine rendu Rouen alors que ses concurrentes de la Russie et de l’Australie voient leur prix diminuer (de 7 $/t pour les orges australiennes et de 16 $/t pour les orges russes). Faisant suite à cette hausse, les orges françaises valent maintenant 360 $/t Fob Rouen, un niveau similaire aux orges russes.

 

Le soutien des prix français provient du temps sec et très chaud sur l’ouest de l’Union européenne et de la chute importante de production que cela peut entraîner, pour la récolte espagnole notamment. Ce soutien provient aussi de ventes d’orge française à l’Iran. Selon les informations portuaires, un bateau de 63 000 tonnes est en chargement actuellement par Viterra à La Pallice et il est question d’un second bateau qui pourrait suivre. L’Iran n’a pas importé d’orge française au cours des deux dernières campagnes mais il en avait acheté 130 000 tonnes en 2019-2020. Quand les orges françaises sont beaucoup plus chères que les autres origines (ce qui a été le cas en 2021-2022 en raison de la demande chinoise), l’Iran se tourne vers des origines plus compétitives. Or, actuellement, le manque d’orges ukrainiennes et la compétitivité des orges françaises encouragent ces ventes.

 

Sur le créneau brassicole, les orges de printemps se sont renchéries aussi à cause des inquiétudes liées au climat et se situent à 450 €/t Fob Creil (+8 €/t) ; le prix des orges d’hiver brassicoles est resté stable à 412 €/t avec le début des opérations de moissons et malgré certaines inquiétudes concernant le calibrage.

Marché du maïs hésitant

Les prix du maïs ont évolué en ordre dispersé sur la semaine. Le maïs Fob Rhin perd 6 €/t, à 330 €/t en récolte de 2021 (base juillet) tandis que le maïs Fob Bordeaux gagne 5 €/t, à 337 €/t.

 

Le maïs brésilien diminue à 322 $/t Fob tandis que le maïs américain augmente à 340 $/t Fob Gulf. Le marché se montre donc hésitant entre facteurs haussiers et facteurs baissiers. Au Brésil, la récolte de la safrinha (seconde récolte) avance bien, faisant donc pression sur les prix locaux.

 

En revanche, les fortes températures aux États-Unis font craindre une diminution rapide des réserves hydriques de sols. Les températures devraient avoisiner les 40°C sur l’ouest de la Corn Belt. Le constat est le même sur une large partie ouest de l’Europe où de fortes températures sévissent avec une précocité inédite. En France, les maïs tiennent le coup pour le moment mais les fortes températures fragilisent un peu plus une situation hydrique déjà précaire. Le retour des orages prévu ce week-end sera déterminant pour maintenir les potentiels de rendement.

 

Les exportations des États-Unis s’affichent dans le bas des attentes, traduisant une demande mondiale ralentie par les prix très élevés. Seule la demande pour la production d’éthanol semble rester dynamique pour le moment. C’est le cas notamment en Inde où un taux d’incorporation de 10 % devrait être atteint cette année.

 

En Chine, les craintes de ralentissement économique font de nouveau leur apparition alors que de nouvelles mesures de restrictions sanitaires sont prises. En Europe, les flux de maïs par voies terrestre et fluviale en provenance de l’Ukraine se maintiennent sur un bon rythme, permettant d’attendre des stocks suffisants chez les importateurs du sud et du nord de l’Union européenne. Néanmoins, ces flux pourraient être remis en cause avec l’arrivée imminente des récoltes de céréales à paille, aussi bien dans l’Union européenne qu’en Ukraine.

Le colza décline avec le pétrole

Les cours mondiaux de l’énergie ont encore fortement influencé le prix de la graine de colza cette semaine. L’appel de Joe Biden aux pétroliers américains, leur demandant d’augmenter leur production pour alimenter le marché local, a notamment pesé sur les prix du brut. Le baril a ainsi perdu un peu plus de 4 % cette semaine, à 117 $ à New York.

 

Par ailleurs, les semis de canola au Canada ont nettement progressé au cours de la seconde semaine de juin, ce qui a également pesé sur les prix canadiens (les prix de la nouvelle campagne sur le marché à terme canadien ont diminué de plus de 50 $/t en une semaine). Les intentions de semis sont pratiquement réalisées en Alberta et dans le Saskatchewan. Dans le Manitoba, les surfaces semées ont bondi de 22 points en une semaine, à 87 % des intentions. Les canolas peuvent être semés jusqu’au 20 juin dans ces régions. Ainsi, des ressemis ont eu lieu dans les zones où l’émergence des plants avaient été compromise par les excès d’eau. Le canola bénéficie par ailleurs d’un report d’intentions de semis du maïs et du soja : leurs fenêtres de semis sont déjà terminées, et le temps très humide a empêché les intentions d’être réalisées.

 

En Europe, la période des récoltes approche rapidement. Le temps sec et chaud accélère la maturation des grains. Les premières coupes de colza ont commencé dans le sud de la France.

 

Enfin, le prix du tournesol a nettement chuté cette semaine, ce qui a aussi contribué au déclin des prix du colza sur le marché français : ce dernier perd ainsi 20 à 25 €/t selon les places entre le 9 et le 16 juin 2022. Le colza à Rouen est désormais coté 758 €/t. Il faut remonter au mois de février, avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, pour retrouver un niveau de prix équivalent.

La forte progression des semis en mer Noire pèse sur le prix du tournesol

Le cours du tournesol à Saint-Nazaire a perdu 100 €/t en une semaine. Le prix de la graine oléique chute un peu moins (–25 €/t), cette dernière bénéficiant d’une demande plus soutenue de la part des triturateurs.

 

Cette chute des prix est liée d’une part à l’offre pléthorique au départ de l’Ukraine à l’heure actuelle, des énormes stocks étant encore disponibles dans le pays. Le tournesol ukrainien rendu dans les ports de l’ouest de l’Union européenne est actuellement extrêmement compétitif, ce qui pèse sur les prix français.

 

De plus, les semis de tournesol sont extrêmement dynamiques en Russie. Les surfaces semées sont très proches de l’an dernier, quand la surface de tournesol avait atteint un record de 9,6 millions d’hectares. Par ailleurs, en Ukraine, les travaux des champs avancent malgré l’instabilité de la situation. La surface semée en tournesol dépasserait les 4,6 millions d’hectares : bien en dessous du niveau de l’an dernier (6,8 millions d’hectares), mais cela rassure en partie les opérateurs de marché. En effet, il y a à peine quelques semaines encore, la possibilité pour les agriculteurs ukrainiens de pouvoir accéder aux champs, aux intrants, et au matériel apparaissait extrêmement incertaine.

 

Cette semaine, un nouveau plan d’aide à l’Ukraine a été annoncé par la Commission européenne, celui-ci portant sur le développement du stockage à la frontière polonaise, afin d’éviter la dégradation des graines. Ces dernières, bloquées dans le pays en raison d’une capacité d’exportation fortement réduite depuis le début de la guerre, ne sont en effet pas stockées dans des conditions optimales et la capacité de stockage ukrainienne devrait être rapidement saturée à l’arrivée des nouvelles récoltes cet été. Ce plan d’aide pourrait permettre à terme de développer les chargements par camions et les flux terrestres.

Après avoir atteint un sommet, le cours du soja recule

Après avoir atteint des niveaux records la semaine passée, le prix du soja a rompu avec la dynamique haussière. En sept jours, le prix à Chicago s’est affaissé de 3 % pour s’afficher à 628 $/t, pour le contrat de juillet. Le Fob brésilien a, quant à lui, perdu encore plus de hauteur, tombant de 5 % à 669 $/t.

 

Les cotations américaines et brésiliennes demeurent toutefois à des niveaux élevés, soit 28 % et 32 % au-dessus de leurs niveaux de l’an dernier respectivement. La demande mondiale semble en effet être peu dynamique, ce qui pèse sur les prix. L’USDA (ministère de l’Agriculture américain) a annoncé l’annulation de ventes à l’exportation d’environ 100 000 tonnes de soja cette semaine.

 

En parallèle, les exportations brésiliennes tendent à ralentir. Selon les données des douanes, sur les deux premières semaines de juin, le Brésil a exporté 72 % de soja en moins qu’à la même période en 2021.

 

En Chine, la demande reste faible, avec la trituration qui ralentit. Pour la troisième semaine consécutive, les volumes se sont affichés en dessous des attentes de marché. A 1,63 million de tonnes, la semaine dernière, la trituration chinoise s’est avérée inférieure à son niveau de l’an dernier (de 70 000 tonnes) sur la même période, selon les données du Centre national d’information sur les céréales et huiles (CNGOIC). En effet, les marges théoriques de trituration demeurent toujours négatives, entrainant un ralentissement de la transformation.

 

À noter que plusieurs pays, dont le Brésil et l’Argentine, envisagent d’augmenter l’incorporation de biodiesel d’huile de soja dans les carburants, ce qui pourrait « booster » la consommation intérieure de soja. Pour l’Argentine, l’incorporation maximale pourrait passer de 5 % à 12 %.

 

Du côté de l’offre, les semis sont bien avancés aux Etats-Unis. Désormais, c’est un temps chaud et sec qui domine le Midwest, ce qui, dans un premier temps, pourrait être bénéfique aux plantations, soumises à un climat humide et froid en avril et mai. Toutefois, si la vague de chaleur se poursuit, cela pourrait avoir des effets néfastes sur le développement des cultures.

Tourteau de soja : très légère hausse du prix

Le prix du tourteau de soja poursuit sa hausse mais de façon plus modérée que la semaine dernière, limité par la baisse du cours du soja. Sur le rapproché, la cotation a gagné 1 % à Chicago (à 474 $/t) et 1 % à Montoir (à 521 €/t).

 

Les prix sont poussés par une bonne demande des acheteurs. Les ventes pour l’exportation de tourteaux de soja américains sont ressorties dans la fourchette haute des attentes de marché cette semaine. Les volumes ont notamment augmenté vers la Colombie, les Philippines, le Honduras et le Japon. La semaine dernière, l’Union européenne a aussi augmenté ses achats de tourteaux de soja de 34 % par rapport à la précédente.

 

En Chine, si la demande reste en berne, les stocks de tourteaux ont reculé, pour la première fois en huit semaines, entraînés par la baisse de l’activité de trituration. Le reconfinement de certaines villes chinoises et l’inflation galopante dans plusieurs pays fait craindre un ralentissement de la consommation mondiale de viande, œufs et produits laitiers.

Hausse des prix du pois fourrager

Le prix du pois fourrager de la récolte de 2022 a gagné 16 €/t sur la semaine (à 417 €/t) départ Marne. Les inquiétudes concernant le développement des cultures de pois au Canada, le temps très sec et chaud en Europe de l’Ouest, et la révision en baisse de l’offre en Espagne ont soutenu les prix.

 

En effet, au Canada dans la région de l’Alberta (qui représente 40 % de la superficie ensemencée) les cultures de pois sont en net retard dans leur émergence, ce qui expose davantage les récoltes aux risques climatiques.

 

En Espagne, face aux conditions sèches qui ont sévi durant la phase de développement des cultures, les rendements ont été affectés. Les premiers retours des récoltes ont été encore moins bons qu’attendu. Nous estimons que la production espagnole de pois devrait chuter de 12,5 % sur un an à 154 000 tonnes (le plus bas niveau depuis 2014). Enfin, les températures extrêmes sur plusieurs jours en France suscitent des inquiétudes pour le potentiel de rendement des pois d’hiver et de printemps.

À suivre : impact de la sécheresse et des fortes températures sur les cultures (France), logistique et programme de construction de silos sur la frontière ouest de l’Ukraine, conditions climatiques en Europe, Argentine et Amérique du Nord (maïs, soja, canola), prix du pétrole, conflit en Ukraine, politique d’exportation d’huile de palme en Indonésie, situation sanitaire en Chine.