« Non la multiplication silencieuse des suicides d’agriculteurs n’est pas un fait divers, une fatalité, mais un fait social qui doit tous nous interpeller et auquel nous devons répondre », a déclaré le ministre de la Santé, Olivier Véran. À l’occasion de la présentation, le 23 novembre 2021, à Paris, de la feuille de route consacrée au mal-être des agriculteurs et des salariés agricoles, le gouvernement a souhaité faire part de « sa mobilisation collective » sur le sujet, « à l’heure où sonne la mobilisation pour nos agriculteurs », a ajouté Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail.
Le caractère central de la rémunération
Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a rappelé en préambule le caractère « central » de la rémunération et a souligné les ambitions des lois Egalim de faire que « chaque agriculteur puisse vivre dignement de son travail. Ce point est crucial pour un agriculteur en exercice mais également quand il doit prendre sa retraite ».
La revalorisation du montant des retraites agricoles les plus faibles doit également y contribuer, a-t-il souligné, avant de rappeler également le rôle essentiel des consommateurs. « En choisissant de consommer des produits locaux et de les payer au juste prix, nous pouvons tous les soutenir économiquement, mais aussi humainement. »
Concrètement, le plan gouvernemental vise pour l’essentiel à mettre en œuvre « une approche plus coordonnée entre tous les acteurs, plus territorialisée et plus individualisée pour accompagner les agriculteurs qui en ont besoin dans toutes les dimensions de leur vie —économique, sociale et de santé —, tout en tenant compte des réalités qui sont les leurs », a résumé le ministre de l’Agriculture.
Une force d’actions réorganisée
- Un comité de pilotage par département : Ces comités seront composés de l’ensemble des acteurs (organisations professionnelles, chambres d’agriculture, MSA, coopération, associations, vétérinaires…) en relation avec les agriculteurs. Leur rôle consistera notamment à partager des difficultés rencontrées et à signaler des points d’alerte. Chaque préfecture a la responsabilité de former ces comités avant la fin de 2022.
- Des référents locaux au sein de la DDT et de la MSA : Ils seront désignés au sein des directions départementales des territoires (DDT) et des caisses locales de MSA, (35 référents, soit 1 par caisse locale de la MSA). Ils auront pour mission de maintenir un dialogue entre les cellules économiques et sociales.
- Un coordinateur national : Afin de suivre la bonne mise en place de cette nouvelle gouvernance, mais également des autres points de la feuille de route, un coordinateur national missionné par les ministères de la Santé et de l’Agriculture sera nommé d’ici à la fin de l’année.
Cette nouvelle organisation sera effective à partir de 2022. Elle sera précisée dans une circulaire conjointe aux ministères de l’Agriculture et de l’Alimentation, de la Santé et du Travail.
La formation de sentinelles
Une mission est confiée à la MSA, pour identifier au niveau local les sentinelles déjà actives. Il s’agira ensuite de structurer un réseau solide en lien avec les agences régionales de la santé (ARS), les associations, les communes et organisations professionnelles.
Les membres de ce réseau pourront bénéficier de formation par des agents professionnels et d’outils (répertoires, guides, plaquettes d’information…) afin de guider au mieux les personnes en situation de détresse vers les structures d’aides.
De même, l’action des coopératives agricoles sera amplifiée dans la sensibilisation et la formation des conseillers. Un déploiement et maillage plus large du territoire sera conduit par le Réseau Agri-Sentinelles porté par La Coopération Agricole.
Dans cette même logique d’anticipation, les Safer auront un rôle clé dans la détection des situations financières difficiles. Elles pourront apporter des solutions : allègement des charges, solutions de portage… En parallèle, les chambres d’agriculture renforceront la visibilité des cellules « REAGIR » et l’accompagnement qui y est dispensé.
Des modules d’enseignement pour les risques psychosociaux
- Pour les étudiants de l’enseignement agricole : Une rénovation des diplômes sera engagée pour un développement des compétences psychosociales. Elle vise en particulier la création d’un bloc de compétence « Agir collectivement dans des situations sociales et professionnelles » et la mise en place d’une semaine de stage collectif pour préparer le jeune à son immersion en milieu professionnel. Les étudiants de l’enseignement agricole bénéficieront également de la formation aux premiers secours en santé mentale (PSSM) de la feuille de route « santé mentale et psychiatrie » ;
- Pour les jeunes agriculteurs installés depuis 5 à 10 ans : Des ateliers collectifs d’échange et de réflexion du type « Et Si On Parlait du Travail » (ESOPT) seront organisés par la MSA afin d’échanger sur les problématiques liés à la gestion d’une exploitation et notamment en prévention des risques psychosociaux pouvant être rencontrés ;
- Pour l’ensemble des agriculteurs : Les acteurs de la formation en continu renforceront leur offre de prévention autour de ces sujets.
Pour les mesures économiques
- Le dispositif départemental d’accompagnement économique des agriculteurs en difficulté est renforcé. Son budget est doublé pour atteindre 7 millions d’euros. Ce dispositif permet aux exploitations d’accéder à des démarches d’aides et d’audit pour la relance de leur activité. La feuille de route prévoit également une simplification des démarches et des procédures, avec notamment la révision des conditions d’accès.
- Le crédit d’impôt « remplacement » en cas de maladie ou d’accidents du travail est porté à hauteur de 60 % des charges générées (salaire du remplaçant, surcoût matériel, frais de service…). Il est prolongé jusqu’en 2024. Cette disposition est actuellement au vote dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022.
- L’aide au répit en cas d’épuisement voit son budget passer de 3,5 à 5 millions d’euros par an dès 2021.
- Dans le cadre de la perte d’un proche notamment lorsqu’il s’agit d’un agriculteur ayant mis fin à ses jours, un accompagnement psychologique spécifique sera mis en place auprès des familles par un travailleur social rattaché à la MSA. Il sera complété d’un accompagnement financier dont les modalités sont en cours d’examen dans le projet de loi de finances pour 2022.
Les dispositifs d’écoute renforcés
Le dispositif Agri’écoute de la MSA a été renforcé, afin d’apporter une écoute professionnelle 24h/24 et 7 jours sur 7 par des écoutants diplômés et expérimentés. Il sera articulé en lien avec le « 3114 », numéro national de prévention du suicide mis en place par le ministère de la Santé.
À ces dispositifs de prévention s’ajoute le programme « VigilanS » qui permet le suivi des personnes ayant fait une tentative de suicide. L’objectif est que chaque région dispose d’un dispositif opérationnel en 2021.
En chantier
- Le gouvernement a créé un groupe de travail interministériel avec les organisations professionnelles agricoles en vue de travailler sur la possibilité d’asseoir les cotisations sur les revenus de l’année en cours plutôt que ceux de l’année précédente. En effet, lorsque les cotisations sociales sont calculées sur les revenus de l’année précédente, s’en acquitter peut-être difficile pour un chef d’exploitation dont l’activité est impactée par un aléa externe.
- Afin de faciliter la transition vers la retraite et l’accompagnement d’un jeune qui souhaite s’installer, le ministère de l’Agriculture expertisera, avec les organisations professionnelles agricoles, la possibilité d’expérimenter la mise en place d’une aide relais.
- Les enjeux spécifiques d’accès au revenu de solidarité active (RSA) et à la prime d’activité seront identifiés. Un groupe de travail technique composé de la direction générale de la cohésion sociale, du ministère de l’Agriculture et de la MSA établira un état des lieux des difficultés rencontrées, notamment en matière d’évaluation des revenus professionnels et de recours au RSA et à la prime d’activité, et proposera des pistes de travail qui s’articuleront avec les travaux en cours sur les minima sociaux.
L’ensemble des actions présentées de cette feuille de route devrait se traduire par un budget supplémentaire annuel de près de 12 millions d’euros.