Beaucoup le pensaient enterré lorsque les campagnes européennes avaient exprimé leur colère en début d’année. Il n’en est rien. Quelques mois plus tard, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur est bien vivant et c’est lui qui relance les mouvements agricoles. Le Mercosur, c’est le bloc économique d’Amérique du Sud qui regroupe le Paraguay, l’Argentine, l’Uruguay, le Brésil et plus récemment, la Bolivie. Signé depuis 2019 après plus de 20 ans de négociations, la ratification de l’accord tarde à aboutir, en raison notamment des exigences supplémentaires de l’Union européenne (UE). Mais depuis plusieurs semaines, tout a changé. Les négociateurs progressent et une signature est envisagée début décembre en Uruguay. Les syndicats agricoles mettent donc plus que jamais la pression sur le gouvernement français et la Commission européenne pour arrêter le processus.

Si cette perspective crée autant de remous, c’est que les filières agricoles concernées sont multiples. Première sur la liste, celle de la viande bovine. Dans l’accord, un contingent de 99 000 tonnes équivalent carcasse (téc), dont 55 % de viande fraîche et 45 % de viande congelées, franchirait les frontières européennes avec 7,5 % de droits de douane. S’ajouteraient, la suppression des 20 % de droit du contingent dit « Hilton » existant. En porc, 25 000 téc seraient accordés. Des chiffres qui alertent Patrick Benezit, président de la Fédération nationale bovine qui s’est exprimé le 13 novembre lors d’une conférence aux côtés d’autres filières à Paris. « Ça peut déstabiliser de manière assez énorme les exploitations agricoles en termes de prix, mais aussi l’ensemble de la filière. Car ces 99 000 tonnes, ce pourrait être uniquement de l’aloyau, un morceau noble », rappelle-t-il. Autre filière animale impactée, celle de la volaille de chair avec l’ouverture d’un contingent de 180 000 téc à tarif nul. Présent à cette même conférence, Jean-Michel Schaeffer de l’interprofession française, explique le danger. « Sur le million de tonnes importé aujourd’hui dans l’UE, près de 400 000 t viennent déjà du Brésil. C’est pour cela que nous sommes inquiets, appuie-t-il. Ce que nous importons c’est surtout du filet, un morceau à valeur ajoutée. En plus, venant de pays qui ne respectent absolument pas les mêmes conditions de production que les nôtres ». Cette question des normes et conditions de production est bien le nœud du problème pour les filières.

De « graves distorsions de concurrence »

Franck Laborde président de l’Association des producteurs de maïs (AGPM), était lui aussi présent le 13 novembre contre l’accord. Ce marché ne serait pas bouleversé par cet accord (un droit de douane ne s’applique qu’en cas d’une très forte baisse du marché et l’accord permettrait au Mercosur d’en être exempt pour 1 million de tonnes), mais ce sont les normes de production que le responsable a relevées. « Après avoir été autosuffisants en Europe, nous en sommes déjà à importer 25 % de notre maïs. Une majorité vient du Brésil et il y a de graves distorsions de concurrence. Nous avons comptabilisé que 77,5 % des produits phytos utilisés là-bas sont interdits en Europe ». Un argument en partie balayé par le Brésil qui met en avant un environnement et un climat engendrant des besoins très différents par rapport aux producteurs européens.

Reste que la question des normes est prégnante, notamment en élevage : des troupeaux de taille incomparable, des normes plus souples et des interrogations, comme sur les hormones. En octobre dernier, la DG Santé de l’UE révélait que sa mission d’inspection, menée au printemps dernier au Brésil, avait conclu que les contrôles sur place concernant l’utilisation d’hormones sur les femelles n’étaient pas satisfaisants. Si le pays a rapidement stoppé l’export des vaches et génisses vers l’Europe le mal était fait. « On a un besoin que l’Europe investisse plus dans la manière dont elle veut contrôler les importations. Que ces contrôles soient internes au pays duquel on importe ou sur des certifications sur l’honneur, ce n’est pas acceptable », peste Patrick Benezit. Une problématique qui demeure, accord ou pas.

Un destin qui se joue à Bruxelles

Les syndicats agricoles ne sont pas seuls. Plus de 600 parlementaires français se sont adressés à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le 12 novembre contre la ratification. Une semaine auparavant, une tribune dans ce sens était signée par 200 députés, dont celui de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier. « On ne peut pas demander aux paysans français de faire le Pacte vert s’ils sont concurrencés par des productions et des pays qui ne respectent pas nos normes », a-t-il plaidé.

Si les politiques en France sont très largement contre l’accord, c’est loin d’être le cas ailleurs en Europe. Outre la Commission, plusieurs pays y sont favorables. À leur tête, l’Allemagne, suivie par le Portugal et l’Espagne. Car ce qui se profile, c’est une scission de l’accord en deux, pour permettre au volet commercial d’entrer en vigueur à la majorité qualifiée plutôt qu’à l’unanimité des États membres si l’accord reste tel quel. Une manière d’esquiver un véto français. Seul espoir pour la France donc, rassembler une minorité de blocage d’au minimum 4 pays et 35 % de la population européenne. La Pologne ou l’Autriche sont dans le viseur et le ministre de l’Agriculture Italien s’est positionné contre, mais la tâche s’annonce difficile. Au sommet du G20, le 17 novembre, Emmanuel Macron l’a affirmé que « la France ne signera pas en l’état ce traité », sans préciser son plan.

Lors des Assises de l’alimentation le 14 novembre en Ille-et-Vilaine, Jean-Luc Demarty, ancien membre de la Commission a blâmé les politiques « indigentes » de la France pour expliquer les difficultés actuelles. Il milite toutefois pour un plafond dans les accords commerciaux à 4 % de la consommation européenne agricole pour limiter « l’effet cumulatif des accords ». Mais il prévient : « la véritable menace pour les filières aujourd’hui, ce n’est pas le Mercosur, c’est l’Ukraine ». Les agriculteurs européens n’ont peut-être pas fini de sortir les tracteurs.