La France reste la plus véhémente dans son opposition. Alors que le Mercosur exporterait vers l’Union européenne d’abord des produits agricoles (viande bovine, volaille, porc, miel, sucre…), l’inquiétude est vive quant à des conditions de concurrence jugée déloyales, ces denrées ne répondant pas aux mêmes normes environnementales, sociales qu’en Europe, voire sanitaires en cas de contrôles défaillants.
Le Copa-Cogeca, l’organisation européenne des syndicats majoritaires, a appelé l’Union européenne à « revoir » ce projet et à « défendre une politique commerciale portant les standards rigoureux de notre agriculture ».
Mobilisation syndicale en France
La mobilisation est particulièrement forte dans le premier pays agricole du continent en valeur. Une vaste mobilisation est annoncée dès lundi à l’appel du syndicalisme majoritaire, la FNSEA et JA, sur fond de crise générale de l’agriculture. Mardi, c’est la Coordination rurale qui passera à l’action.
« Un rapport d’audit de l’Union européenne vient de mettre au jour des failles au Brésil dans les procédures de contrôle du respect des normes sanitaires, souligne la Fédération nationale bovine. Malgré cela, la Commission européenne poursuit avec conviction les négociations qui favoriseront l’accès supplémentaire de 99 000 tonnes de viandes bovines sud-américaines. »
Paris essaie de rallier d’autres États, comme la Pologne, pour bâtir une minorité de blocage au sein de l’Union européenne. Dimanche soir, des agriculteurs se rassemblaient devant la base aérienne de Vélizy-Villacoublay d’où le président de la République a pris l’avion pour l’Argentine, avant de rejoindre le G20.
Sur X, Emmanuel Macron s’est voulu rassurant, écrivant après sa rencontre à Buenos Aires avec son homologue argentin Javier Milei que « la France ne soutiendra pas l’accord UE-Mercosur dans sa version actuelle ».
Je veux rassurer tous nos agriculteurs :
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 17, 2024
Nous ne renoncerons pas à notre souveraineté alimentaire. La France ne soutiendra pas l’accord UE-Mercosur dans sa version actuelle. pic.twitter.com/8qyqJQeaCo
L’Allemagne veut élargir ses débouchés industriels
L’Allemagne, réticente à l’accord sous Angela Merkel pour cause de déforestation en Amazonie, a changé de pied avec Olaf Scholz, désireux d’élargir ses débouchés industriels. Aujourd’hui, l’effondrement de la coalition gouvernementale place les agriculteurs dans l’expectative.
Pour l’Association des agriculteurs allemands (DBV), principal syndicat, « il est urgent de renégocier » cet accord. Il « conduirait à remplacer la production nationale par des importations aux normes du siècle dernier, au détriment des consommateurs, des agriculteurs, des animaux, de l’environnement et du climat », explique Joachim Rukwied, son président, pour qui « l’agriculture de l’Union européenne ne peut survivre que si des mécanismes viennent compenser les différences entre les normes internationales et européennes ».
Aucune manifestation officielle n’est prévue, ce qui ne devrait pas empêcher des convergences à la frontière franco-allemande, comme à la frontière franco-espagnole.
Un gouvernement espagnol favorable à l’accord malgré les craintes des agriculteurs
En Espagne, l’ensemble des grands syndicats agricoles ont dit leurs craintes, notamment pour l’élevage. Cet accord est « dépassé et incohérent », pour l’organisation Asaja. Aucune mobilisation n’est annoncée, mais l’inquiétude suscitée par le projet avait pesé dans le mouvement de colère des agriculteurs en début d’année.
Pour autant, le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez s’est prononcé pour. Il est « nécessaire stratégiquement », assurait à la mi-octobre le ministre de l’Agriculture, Luis Planas : des filières pourraient souffrir, comme la filière bovine, mais d’autres en profiter comme le vin et l’huile d’olive.
En Italie, des agriculteurs inquiets
La grande organisation Coldiretti a écrit à la Première ministre Giorgia Meloni pour exprimer la « profonde inquiétude » à l’égard d’un accord qui « aurait des effets dévastateurs sur le secteur agroalimentaire ».
« Nous estimons qu’une collaboration étroite avec d’autres États membres de l’UE, comme la France, qui partagent nos inquiétudes, peut empêcher l’adoption de l’accord sous sa forme actuelle », appelle la lettre.
Le ministre italien de l’Agriculture, Francesco Lollobrigida, s’est exprimé ce lundi 18 novembre contre le projet d’accord de libre-échange sous sa forme actuelle, exigeant que les agriculteurs du Mercosur soient soumis aux mêmes « obligations » que ceux de l’Union européenne.
« Le traité UE-Mercosur sous sa forme actuelle n’est pas acceptable, a-t-il estimé dans un communiqué. Il faut vérifier en amont le respect par les pays du Mercosur des mêmes obligations que nous imposons à nos agriculteurs en matière de respect des droits des travailleurs et d’environnement », a justifié ce ministre membre de Fratelli d'Italia, le parti d’extrême droite dirigé par Giorgia Meloni dont il est un proche.
« Les crises géopolitiques ont déjà affaibli de manière dramatique notre secteur primaire, qui pourrait difficilement résister à l’impact d’importations aux coûts de production et prix plus bas, a-t-il ajouté. À ce jour, bien que nous restions favorables à des marchés ouverts et réglementés, l’Europe n’est pas en mesure de garantir la protection de ses propres entrepreneurs dans des accords avec des pays ayant des coûts de production extrêmement plus bas », a déclaré le ministre à la presse en marge d’une réunion des ministres européens de l’Agriculture ce 18 novembre..
Le ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani, chef du parti conservateur Forza Italia membre de la coalition au pouvoir, s’est montré de son côté plus ouvert. « Nous sommes favorables dans le principe à un accord avec le Mercosur », a-t-il affirmé ce lundi à Bruxelles. « Mais il y a des points qui doivent être réglés car ils ne sont pas complètement satisfaisants pour l’Italie », a-t-il aussitôt nuancé.
Des divisions politiques aux Pays-Bas
Le principal syndicat agricole LTO appelle « à arrêter les négociations ». Aux Pays-Bas, le secteur avicole et le sucre seraient menacés, explique Klaas Johan Osinga, conseiller en stratégie politique du LTO à l’AFP.
« L’accord pourrait toutefois être bon pour le secteur du fromage, être une opportunité pour l’horticulture, mais ce sont relativement de petites sommes », ajoute-t-il, relevant que les quatre partis de la coalition gouvernementale sont divisés sur le sujet.
La Pologne émet de « sérieuses réserves »
Le ministère de l’Agriculture a exprimé ses « sérieuses réserves » à l’égard d’un projet qui « aura peut-être quelques bénéfices pour l’industrie, le transport maritime et certains services, aux dépens de la plupart des segments de la production agroalimentaire ».
Une des principales organisations agricoles, NSZZ RI Solidarność, a appelé le chef du gouvernement Donald Tusk, à aller plus loin et à « bloquer » le projet.
Le Parlement dit non en Autriche
Les parlementaires du Conseil national ont adopté une résolution contre l’accord avec le Mercosur, rappelle le ministère de l’Agriculture : « Restreindre la production agricole en Europe via des normes toujours plus sévères tout en poussant des accords commerciaux de la vieille école, ce n’est pas compatible. L’Autriche est un pays orienté à l’exportation, nous tenons à ce que le jeu soit équitable. »
De telles importations sans droits de douane « mettent notre agriculture en péril », résume la première association agricole (Bauernbund).
Les éleveurs irlandais ont protesté
Alors qu’en Irlande les élections législatives de la fin de novembre concentrent l’attention, les représentants des éleveurs (ICSA) ont protesté devant la chambre basse du Parlement.