C’est dans un climat géopolitique particulier que la Fédération nationale de l’industrie laitière (Fnil) a tenu son assemblée générale, jeudi 5 juin 2025. Son président, François-Xavier Huard, le rappelle : les mois précédents ont été tumultueux et la filière tributaire, comme d’autres, des annonces du chef d’État américain, Donald Trump, sur les droits de douane.
Derrière lui, sur la toile blanche qui accueille les rayonnements d’un vidéoprojecteur, Ursula von der Leyen, Donald Trump et Xi Jinping, habillés en costume de superhéros, ont les mains tendues au-dessus d’un globe terrestre. « On est dans un nouvel environnement qui rebat les cartes d’un ordre géopolitique qui datait d’après la Seconde Guerre mondiale », déclare, en guise de commentaire, François-Xavier Huard.
L’émergence des Brics
Sur l’estrade, Olivier Antoine, directeur du cabinet Orae géopolitique, remonte le temps. « À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est ruinée, les États-Unis nous aident à nous reconstruire. Dans [l’accord] qu’on passe avec les États-Unis on demande à conserver la production laitière sur notre sol. Les États-Unis répondent : oui, en contrepartie, on vous vendra du soja. » Les jalons du commerce international, et de ses futures instances comme l’OMC, sont posés.
Puis, d’autres pays émergent : les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), devenus désormais les Brics + (il faut y ajouter l’Iran, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie). C’est le début d’une nouvelle ère. « Quand on regarde les flux agroalimentaires mondiaux dans les années 1990, ils sont dominés par les pays de l’OCDE. Mais quand on se projette à 2030, les pays des Brics nous dominent sur tous les segments. Ils ont des productions qui sont largement supérieures aux nôtres. Aujourd’hui, les Brics + représentent la moitié de la population mondiale et la moitié de la sécurité alimentaire mondiale », poursuit ce spécialiste.
À ses côtés Christophe Lafougère, PDG de Gira, cabinet de conseil en géostratégie, complète : selon les prévisions à cinq ans, la production mondiale de lait devrait croître de 1,6 %. Mais dans le détail, la croissance du lait en Europe n’atteint plus que 0,2 % et celle de la France recule. « Nos prévisions sont à –1,2 % de croissance », conclut-il.
La place grandissante de la Chine
Dans le nouvel ordre mondial du lait, un pays se détache : la Chine. « La Chine, il y a quarante ans, il n’y avait pas de lait ou pratiquement pas de lait », reconnaît Christophe Lafougère. Mais ça, c’était avant. La tendance s’est inversée et l’arrivée de Donald Trump au pouvoir l’accélère. « En Chine, pour moi, en ce moment, une révolution est en cours et elle est due à la situation géopolitique. C’est une réponse à la décision du président Trump d’augmenter les droits de douane », assure cet expert.
Ce jeudi 5 juin, justement, Xi Jinping et Donald Trump se sont entretenus pendant une heure et demie. Une entrevue que le président américain a qualifiée de « positive » et qui se serait même conclue par la possibilité d’une rencontre entre les deux hommes. Au cœur des discussions : la question des droits de douane. Le mois dernier, les deux dirigeants s’étaient mis d’accord pour opérer une trêve commerciale. Les surtaxes américaines sur les produits chinois importés sont alors passées de 145 % à 30 %. À l’inverse, les droits de douane chinois sur les importations américaines ont chuté de 125 % à 10 %.
La Chine en crise de surproduction laitière (19/07/2024)
Mais la surenchère à laquelle se sont livrées les deux puissances pendant plusieurs mois a visiblement servi de leçon au géant asiatique. Plus question de dépendre de l’extérieur alors la Chine produira local. « Le gouvernement chinois s’est rendu compte depuis le début de l’année que le pays ne produisait pas certains produits stratégiques. Ces produits ce sont surtout tous les dérivés de lactosérum, pour lesquels plus de 35 % des importations chinoises viennent des États-Unis », explique Christophe Lafougère.
Résultat : consigne a été passée aux géants laitiers chinois de se lancer dans la production de fromage et ainsi obtenir son propre lactosérum. « Vous allez voir, les choses vont aller très vite », prévient-il.