Plus d’un mois après les inondations exceptionnelles qui ont sévi dans le Pas-de-Calais, l’heure est encore à quantifier les dommages pour les élevages et les cultures. Les organisations professionnelles agricoles (OPA) ont mis en place un questionnaire pour que les agriculteurs touchés puissent faire remonter des informations concernant leurs pertes de cheptel, de fourrage (maïs, paille, foin), et décrire l’impact sur leurs exploitations des intempéries : baisse de production de lait, mammite, avortement, augmentation des butyriques, maladies chez les veaux, cultures non récoltées, cultures encore à semer, dommages sur les matériels, les constructions… Objectif : permettre aux OPA d’appuyer leur demande de soutien financier auprès de la Région et de l’État.

Des sols pas ressuyés

Sur le terrain, la situation est encore très compliquée. Les sols ne sont pas encore bien ressuyés, et au 15 décembre 2023, il restait encore 2 500 hectares de betteraves à arracher dans la zone la plus sinistrée du Pas-de-Calais. 300 hectares seront très difficiles à sortir.

« Le temps est souvent couvert, et ça ne sèche pas, constate Jean-Pierre Clipet, secrétaire général de la FDSEA du Pas-de-Calais. Les journées sont courtes à cette époque-ci, et le peu qu’il pleut, c’est de trop. On avance très difficilement, une parcelle à la fois. Il y a aussi à certains endroits des remontées de nappes, et cela n’aide pas pour le ressuyage. » Les sucreries doivent tourner jusqu’à la fin de janvier, cela laisse encore un peu de temps.

Il reste aussi encore 300 hectares de pommes de terre à récolter, sans savoir comment elles se comportent dans les buttes. La situation presse aussi pour les 100 hectares de chicorées toujours en terre. Les 200 hectares de maïs qui restent sont trop abîmés et ne seront pas battus.

La moitié des céréales encore à semer

Quant aux céréales, ce qui a été semé vers le 10 octobre est correct, mais celles implantées après ne sont pas belles. « Et il en reste encore 50 % à semer, dévoile Jean-Pierre Clipet. Cela reste trempé, il faudrait beaucoup de vent pour que ça sèche ou du gel qui arrive pour arriver à travailler. On peut semer du blé jusque mi-janvier, alors on garde espoir. Mais il y a de l’inquiétude quant aux stocks de paille pour l’hiver 2024-2025. »

Une partie des légumes dans le bassin de Saint-Omer est encore sous l’eau. Certains ont perdu toute leur production d‘hiver. « Comme c’est une zone inondable, ils n’ont pas d’assurance récolte. Il faut qu’on trouve un accompagnement financier, car en termes de pertes cela chiffre beaucoup », avance le secrétaire général de la FDSEA. Une question se pose déjà : sera-t-il possible de faire les mises en culture en février 2024 pour la prochaine campagne ?

Problèmes sanitaires dans les élevages

Les conditions restent complexes dans les élevages. « Dans le département, d’après les remontées que l’on a eues, 100 éleveurs laitiers sont très impactés, 350 moyennement et 150 un peu », chiffre Jean-Pierre Clipet. Une cinquantaine d’élevages allaitants sont aussi concernés.

« Vendredi dernier, il y avait de nouveaux élevages dans l’eau, raconte le responsable syndical, pointant la grande lassitude des producteurs. De nombreux problèmes sanitaires sont observés dans les élevages.

« Il y a 15 à 20 % de vaches avec mammites dans les troupeaux que nous suivons depuis un mois », détaille-t-il. D’autres problèmes sont constatés : boiteries, problèmes de production de lait, d’agnelages, retards pour la reproduction, problèmes de croissance dans les élevages allaitants à cause du stress…

Opération fourrages

En fourrages, « une partie des ensilages de maïs a dû être mise de côté, détaille Jean-Pierre Clipet. Pour d’autres, on attend de voir comment ça se comporte. Il y a du tri à faire. Une opération paille/fourrages se met en place. Il y a aujourd’hui 130 demandeurs dans le Pas-de-Calais et 200 offreurs pour le moment qui viennent du département et un petit peu autour. On a aussi des offres de plus loin mais pour l’instant, on essaye de gérer localement, et au fur et à mesure on ira plus loin. C’est en train de se construire. On identifie les besoins, et après on s’occupe des mises en relation. »

Des actions de solidarité pour venir en aide aux agriculteurs inondés ont été organisées dans le département, à l’instar de celle qui a eu lieu sur le marché de Noël de Béthune, le samedi 16 décembre 2023. 1 300 euros ont été récoltés par la vente de sachets de légumes.

Cette somme sera reversée pour l’opération paille/fourrage menée par la FDSEA 62. « Ce n’est pas grand-chose parce qu’il faudra beaucoup plus que ça, explique Benoît Louchart, animateur syndical. Mais l’argent collecté permettra d’aider des agriculteurs à acheter du fourrage ou payer un peu de transport. »

Accompagnement financier

« Nous ne sommes pas encore en sortie de crise, on essaye de relever la tête et de voir ce qu’il faut faire, soupire Jean-Pierre Clipet. Cela devient vraiment long à vivre et difficile mentalement. C’est compliqué dans les champs, et c’est encore le bazar dans les étables. Dès qu’il y a de la pluie qui s’annonce, c’est stressant. » Et de poursuivre : « Certains ont tout perdu, ils ont des surcoûts sanitaires, des factures à payer, mais ils ne savent pas à quelle aide ils ont droit. C’est une vraie inquiétude et cela n’aide pas à retrouver le moral. »

Le ministère de l’Agriculture a annoncé le mardi 19 décembre 2023, le déblocage « dès à présent » d’une aide d’urgence de 10 millions d’euros pour « accompagner les éleveurs dont les troupeaux ont été durablement affectés par l’inondation ». « Mais les modalités doivent être encore définies, commente Benoit Louchart. On ne sait pas ce qui va être ciblé. »