Le phosmet, insecticide contre les ravageurs d’automne du colza (grosse altise et charançon du bourgeon terminal), est interdit depuis le 1er novembre 2022. Pour accélérer les recherches et le déploiement de solutions alternatives, l’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie avait lancé, en 2022, un plan d’action pour la sortie du phosmet pour une durée de trois ans. Terres Inovia a publié, le 28 juillet 2023, les premiers résultats des projets de recherche du plan.
Pistes écartées
Le projet Adaptacol², porté par Terres Inovia en partenariat avec Axereal et Actura, a pour ambition de fédérer l’ensemble des acteurs du développement (entreprises de conseil agricole, distribution, enseignement…) en région, pour tester de nouveaux leviers agronomiques et déployer les solutions existantes et développées au cours du plan de sortie.
Cette année, 140 essais ont été mis en place dans le cadre de ce projet, grâce à la mobilisation de 85 partenaires dans les régions. Plusieurs thématiques ont été testées à l’échelle de la parcelle :
- La caractérisation des variétés commercialisées vis-à-vis des insectes (comportement variétal, vigueur) ;
- L’évaluation des mélanges variétaux (mélanges de variétés dites « pièges à insectes », mélanges de variétés qui ont un comportement différent vis-à-vis des aléas climatiques et des insectes) ;
- Les biostimulants.
« Les essais n’ont pas montré d’effets positifs probants à utiliser ces biostimulants pour mieux gérer la pression des insectes d’automne sur colza, rapporte Laurine Brillault, de Terres Inovia, en charge de l’animation du plan de sortie du phosmet. Ces résultats seront à consolider avec les rendements, mais a priori, il n’y a pas de différence significative sur la vigueur de la plante pour les biostimulants testés. Cette thématique ne devrait pas être retestée dans le réseau l’année prochaine. »
De même, les mélanges de variétés « pièges à insectes », composés d’une faible proportion d’une variété de colza (ou d’une autre crucifère) supposée plus attractive pour les altises, afin qu’elles laissent les variétés d’intérêt, n’ont pas montré de différences significatives en termes de dégâts et de pression larvaire. Les résultats doivent également être consolidés avec les rendements, mais, en l’état, comme pour les biostimulants, la thématique ne devrait pas être reconduite l’année prochaine.
Intercultures pièges
À plus grande échelle, une vingtaine de territoires ont mis en place une stratégie de détournement de la grosse altise via des intercultures pièges. Celle-ci consiste à implanter du colza, avec à proximité une interculture à base de radis chinois, réputé attractif pour l’altise, et d’évaluer si cette technique permet de détourner l’insecte de la parcelle de colza vers l’interculture. Cette stratégie a été imaginée et testée dans le cadre du projet R2D2.
« Bien que les deux années d’expérimentation en Bourgogne dans R2D2 semblent montrer l’intérêt de ces cultures pièges, le recul est encore insuffisant, indique Laurine Brillault. Beaucoup de paramètres rentrent en jeu : les surfaces de colza et d’interculture, la distance entre les parcelles, le positionnement du colza l’année précédente… Il faut encore acquérir des références pour mieux comprendre les conditions de réussite de cette technique. »
Ces essais seront reconduits l’année prochaine, ainsi que d’autres complémentaires sur la composition de l’interculture. « Le radis chinois est une bonne culture attractive, mais les intercultures ont souvent des compositions variées, adaptées aux besoins de l’agriculteur. L’idée est de voir si, associé à d’autres espèces (céréale, légumineuse), l’attractivité est conservée. »
Résultats étonnants
Autre volet du projet Adaptacol², accolé aux BSV (bulletins de santé du végétal) : le suivi d’épidémiosurveillance. « Nous incitons les partenaires à faire des observations complémentaires sur la grosse altise et le charançon du bourgeon terminal, afin de mieux connaître le lien entre les conditions du milieu, l’état de la culture, la présence de ces insectes et l’expression des dégâts sur la culture », explique Laurine Brillault.
Sur la campagne de 2022-2023, sur les 733 parcelles de colza suivies pour les BSV, 82 ont fait l’objet d’observations renforcées. 9 % des observations ont donné un résultat étonnant : des dégâts importants en culture sont observés, alors que les infestations larvaires relevées sont faibles. Ces situations devront être étudiées au cas par cas. « Les données consolidées sur les trois années du projet Adaptacol² permettront de mieux comprendre les situations de mise en défaut des règles de décision afin d’améliorer le conseil aux producteurs, appuie Laurine Brillault. Elles serviront également à établir des modèles comme celui déjà proposé par Terres Inovia sur le risque lié aux charançons du bourgeon terminal. »
Adaptacol² vise également à déployer des stratégies déjà consolidées, comme celle consistant à mettre en place des leviers favorables à l’établissement d’un colza robuste. Parmi ces leviers, la fertilisation minérale du colza à l’automne présente un intérêt pour soutenir la croissance des colzas ayant épuisé les réserves d’azote du sol. Jusqu’à présent interdite dans les zones vulnérables vis-à-vis de la pollution par les nitrates, cette technique va être autorisée sous certaines conditions qui font suite au septième programme d’action contre les nitrates, avec une clause de revoyure.
« L’Administration demande de fournir la preuve d’ici à 2027 que cette pratique n’augmente pas de façon significative la perte d’azote par lixiviation, explique Laurine Brillault. Dans cet objectif, il est proposé aux partenaires de faire des applications d’azote à l’automne et au semis, dans différents contextes pédoclimatiques, afin de poursuivre l’acquisition de références sur les bénéfices et risques de cette pratique. »
Variétés résistantes
Le projet Resalt, porté par l’Inrae, Terres Inovia, l’Innolea et dix obtenteurs, vise à fournir des ressources pour la construction de variétés résistantes à la grosse altise. « La première année a consisté à optimiser les méthodes de phénotypage de la résistance, au laboratoire et au champ, et uniformiser entre les partenaires les notations, notamment l’estimation des dégâts à montaison », indique Laurine Brillault.
L’identification des sources de résistances, par les semenciers dans des génotypes de colza et par l’Inrae dans les espèces parentales du colza, commencera réellement en deuxième année du projet. Dans ce but, un nouvel élevage d’altises a vu le jour. Il en existe désormais trois en France.

Molécules répulsives
Dans le cadre du projet Altisor, porté par l’Inrae en partenariat avec Agriodor, le transcriptome des antennes de la grosse altise a été séquencé, c’est-à-dire que l’ensemble des gènes exprimés ont été inventoriés. L’objectif est d’identifier les récepteurs olfactifs clefs pour la colonisation du colza, qui seront utilisés pour trouver plus efficacement des molécules attractives ou répulsives pour la grosse altise. « Cela accélérera la recherche de biocontrôle », estime Laurine Brillault.
Manipulation du comportement
Le projet Ctrl-Alt cherche, quant à lui, à détourner l’altise de la parcelle de colza, de diminuer sa consommation ou sa ponte, en s’appuyant sur des plantes de services attractives et les composés volatils qu’elles émettent. « Après une première évaluation en conditions contrôlées, indique Laurine Brillault, des essais aux champs sont prévus dès cette campagne. Ils viseront notamment à mieux caractériser la distance d’attraction des plantes de service. »
Biocontrôle
Des produits de biocontrôle, avec différentes approches, sont travaillés. Dans le projet Velco-A, BASF, en partenariat avec l’Inrae de Dijon, étudie par exemple un champignon entomopathogène, susceptible d’infecter les larves d’altises. « Ce produit serait utilisé dans une stratégie de réduction des émergences d’altises afin de réguler les populations à l’échelle du territoire », résume Laurine Brillault.
Des tests en laboratoire ont validé la pathogénicité du champignon sur les larves d’altises. « Cette première année d’expérimentation a permis de mieux connaître le champignon, qui semble avoir une bonne tolérance aux variations de températures. D’autres paramètres sont en cours d’étude, comme l’humidité », rapporte Laurine Brillault. BASF et Terres Inovia ont également mis en place des essais au champ. Les données sont en cours d’analyse.
Dans un autre projet, Certis travaille avec des entreprises de high-tech sur un produit de biocontrôle à base d’acides gras, qui sera associé à des outils technologiques pour mieux le positionner. « Un piège à insectes connecté permettra de modéliser les vols d’altises, un capteur de connaître les conditions météo pour l’application du produit, et un outil d’analyse satellitaire d’estimer la biomasse du colza », résume Laurine Brillault. La chambre d’agriculture de la Normandie organise en parallèle des tables-rondes pour déterminer l’acceptabilité de ce type d’OAD auprès des agriculteurs. Des tests d’efficacité effectués sur douze parcelles à l’automne 2022 ont montré des premiers résultats intéressants, mais nécessitent encore des travaux.
Le produit de Certis, ainsi que celui de BASF, sont testés en parallèle aux champs, dans le projet Adaptacol², par Terres Inovia et ses partenaires.